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MORT DE FÉLIX FAURE


bagarres. Ils avaient recruté des débardeurs et des coltineurs à La Villette, quelques bouchers, des rôdeurs de barrières et autres vagabonds[1], leur avaient donné rendez-vous sur les boulevards et aux abords de la gare Saint-Lazare, et les faisaient boire chez les marchands de vin et dans les cafés, en attendant les dépêches de Versailles. Dès que l’élection, d’ailleurs prévue, de Loubet fut connue, les néo-muscadins de la « Jeunesse Royaliste » passèrent dans les groupes, les mobilisèrent et distribuèrent des sifflets à roulettes.

Prévenu comme on l’était, rien n’eût été plus aisé, avec les troupes et les forces de police dont on disposait, que de déblayer le terrain. Mais Dupuy n’en fit rien, soit incurie, — il n’en était pas incapable à ses heures, — soit qu’il ne déplu pas à ce gros homme, à la fois ténébreux et jovial, de dégoûter Loubet, dès le premier soir, de sa magistrature. Ses espérances, s’il en eut, furent dépassées. De la gare à l’Élysée, Loubet fut sifflé par « les gens du Roy » et ceux de Déroulède, sa voiture poursuivie et même secouée « par une quarantaine de gaillards résolus » qui hurlaient : « Démission ! » et « Panama ! », sans que la police, insuffisante ou hostile, intervînt[2]. Dupuy était à côté de lui, comme ses fonctions l’y obligeaient, et, sans doute, mal à l’aise sous le regard attristé de cet honnête homme, mais qui savait sa province et entrevoyait déjà que rien n’aiderait plus à sa popularité parmi les républicains que ces

  1. « À raison de cinq francs. » (Dépêche de Coston, officier de paix, 11 h 1/2 du matin.)
  2. Écho de Paris du lendemain ; dépêches des officiers de paix du 18. (Haute Cour, I, 58 à 60.) — Les prédécesseurs de Loubet à la Présidence de la République (Carnot, Casimir-Perier, Faure) étaient revenus en voiture de Versailles à Paris. Dupuy lui fit prendre le chemin de fer, ce qui, peut-être à son insu, facilita la manifestation.