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MORT DE FÉLIX FAURE


griffe, flanqué d’un groupe de braillards qui l’entourèrent en un instant et le coupèrent de sa pointe de sapeurs, « ne se rendit pas compte, au premier moment, de ce qui se passait[1] ». Dans le vacarme qui l’avait accueilli sur la place, il n’avait cru d’abord « qu’à une manifestation en faveur de l’armée[2] », et s’était déjà préoccupé qu’elle ne dégénérât pas en désordres, qui lui vaudraient des ennuis. À présent, l’affaire prenait (en argot de corps de garde) une « sale tournure ». Déroulède, comme un possédé, criait : « Suivez-nous, mon général, ayez pitié de la patrie ; sauvez la France et la République ; des amis nous attendent ; suivez-nous à la place de la Bastille, à l’Hôtel-de-Ville. À l’Élysée, mon général[3] ! » Le député Lasies, bien qu’il ne fût pas du complot[4], les bouchers antijuifs, qui s’étaient mêlés aux « patriotes[5] », Barrès à la droite de Guérin et Habert à sa gauche, Syveton, quelques journalistes[6], formaient cortège pendant que la foule, qui ne comprenait pas encore, poussait ses acclamations habituelles : « Vive l’armée ! Vive la République ! » Comme la musique du 82e de ligne venait de rejoindre, c’était un tapage assourdissant, ces « vociférations » et ces hurlements mêlés à des sonneries de clairons et

  1. Instr. Pasques, 12, Roget.
  2. Ibid., Roget.
  3. Ibid., 29, Déroulède. — Roget dépose (13) « qu’en son âme et conscience, il ne peut pas dire exactement quels sont les cris qui ont été poussés et par qui ». De même Gauchotte (17), Habert (38), le soldat Jules (59), etc. L’avocat Hornbostel (84) entendit » distinctement » ces mots : « À l’Élysée, mon général ! »
  4. Ibid., 10, Lasies : « J’ai profité de cette occasion… etc. »
  5. Haute Cour, 21 novembre 1899. Guérin.
  6. Talmeyr (du Gaulois) et Bonnamour (de l’Écho de Paris). — Selon Barrès, les regards d’Habert sur Guérin « n’étaient point d’un complice à un complice. » (Loc. cit., 245.)