Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1904, Tome 4.djvu/83

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CAVAIGNAC MINISTRE


Ayant débité son conte de manière à rendre Bertulus suspect, il pouvait, sans crainte, donner cet avis à Roget. Gonse, qui cherchait à se raccrocher à toutes les branches, appuya. Mais Roget haussa les épaules ; il n’était pas homme à tomber dans un piège aussi grossier ; Gonse était « aussi naïf » qu’Henry ; si Roget se rendait chez Bertulus, tout le monde en conclurait que le ministre était inquiet de l’instruction ; or, le ministre se désintéressait d’Esterhazy, et, « si Du Paty se trouvait pris là dedans », tant pis pour lui[1].

Cavaignac, en effet, tout sot qu’il fût, ne l’était pas assez pour négocier avec Bertulus[2] ; dans sa manie de voir partout des corrompus, il le croyait vendu aux juifs ; au surplus, Roget lui avait dit, le tenant d’un autre magistrat, que c’était « un besoigneux et un joueur », et « capable de tout[3] ». Par contre, il avait donné rendez-vous, pour le lendemain soir, à Tézenas.

    éprouvé, vous, Henry, le besoin de faire une note qui viendrait me contredire. Est-ce que c’est d’usage d’ailleurs ? C’était au moins le jour même qu’il fallait l’écrire et non trois jours après. Et pourquoi l’avez-vous écrite ? Il y avait donc quelque chose qui vous troublait, puisque vous vouliez laisser une trace quelconque qui vous permît de me donner un démenti ? » — Esterhazy raconte ainsi la scène du 18 juillet : « Cet homme extraordinaire courut à Henry, le prit dans ses bras, l’embrassa et lui dit : « Ah ! mon colonel, voilà trois jours que je lutte pour empêcher Esterhazy de nommer personne ! » (Dessous, 27.) Le récit d’Esterhazy est daté du 15 novembre 1898. — Mme Henry à Rennes reproduit la version d’Esterhazy : « Mon mari me raconta le soir la conversation qu’il avait eue avec ce magistrat qui l’avait embrassé. J’ai dit à mon mari : Es-tu bien sûr de cet homme ? J’ai bien peur que son baiser soit celui de Judas. » (I, 366). C’est la confirmation par a contrario du récit de Bertulus. (Rennes, I,368.)

  1. Cass., I, 624 ; II, 23 ; Rennes, I. 271, Roget.
  2. Cass., II, 23, Roget : « Dans tous les cas, me dit Cavaignac, vous n’auriez pas dû aller chez Bertulus sans m’en demander l’autorisation. »
  3. Ibid., I, 625. Roget. — Bertulus, devant les Chambres réunies, proteste contre « cette calomnie, la pire de toutes, celle qui se cache derrière l’anonyme. J’ai demandé à mes chefs une enquête ; je l’attends avec impatience et aussi avec la plus entière confiance. » (II, 18.)