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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


complice des civils doit être traduit devant des juges de droit commun » n’est pas moins formelle[1]. Sous la monarchie, la loi célèbre de disjonction qui proposait de déférer, pour un même crime, des civils aux tribunaux ordinaires et des officiers et soldats aux tribunaux militaires, souleva les juristes et les libéraux[2]. Brisson, sous la République, recommençait Molé.

Bertulus refusa de se prêter à cette dérision de la loi, mais crut habile de distinguer entre les deux faux ; la dépêche Blanche, fabriquée, selon lui, expédiée par Du Paty sans aucune complicité civile, la dépêche Speranza recopiée par la maîtresse d’Esterhazy. En conséquence, il se déclara incompétent sur la première partie de la plainte de Picquart et compétent sur la seconde[3].

Cette concession était une autre erreur, parce que les charges relevées (à tort ou à raison) contre Du Paty étaient connexes, les deux faux ayant été commis, aux termes précis du Code, « par suite d’un concert formé

  1. Article 76 du Code militaire.
  2. La loi de disjonction présentée par le ministre Molé fut discutée à la Chambre des Députés du 28 février au 7 mars 1837 et rejetée « aux cris triomphants de : Vive la Charte ! vive la Liberté ! » (Thureau-Dangin, Histoire de la Monarchie de Juillet, III, 163.) « Alors montèrent jusqu’aux voûtes des cris d’enthousiasme que depuis longtemps on n’avait pas entendus. » (Louis Blanc, Histoire de dix ans, V, 190.) La loi, défendue par Lamartine, fut combattue ? par Dupin aîné, Charamaule et Berryer. Bard, dans son rapport sur l’arrêt de la chambre des mises en accusation, rappelle le précédent et cite un passage du discours de Dupin. (Cass., 2 septembre 1898.)
  3. Ordonnance du 28 juillet 1898 : « Que nous sommes compétent pour instruire sur la plainte déposée par M. Georges Picquart, partie civile, contre le lieutenant-colonel Du Paty de Clam, celui-ci considéré en tant que complice des crimes de faux, usage de faux et complicité relevé par réquisition du 12 juillet 1898 contre Walsin Esterhazy (Ferdinand), officier en non activité pour infirmité temporaire, et la fille Pays (Marie-Hortense dite Marguerite). »