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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


qu’ils avaient été les plus éprouvés et que l’idée bizarre de décerner des prix et des accessits, comme dans une distribution de collège, n’était venue à aucun de nous qui avions signé avec lui. Cependant Bernard Lazare réclama, dans une lettre ouverte qui fut publiée par Clemenceau[1], pour les oubliés : Forzinetti, « qui avait souffert les souffrances journalières de l’innocent » ; Leblois, « travaillant dans le silence » ; Demange, « inoubliable cependant, celui-là, lui qui fut le premier à affronter l’insulte et dont le patient dévouement ne s’est jamais démenti » ; enfin, sans hypocrisie, lui-même. Il rappela qu’il avait sonné le premier, coup de cloche de la Revision, invoqua mon témoignage, parce que, moi aussi, « j’avais tendu ma main au malheureux à l’heure de la lutte solitaire ». Si, plus tard, sans quitter le combat, il s’est effacé dans la pénombre, ce fut à la demande de Mathieu qui le pria de sacrifier sa personnalité trop marquée ; il a, en outre, l’orgueil d’être juif et le proclame :

J’appartiens à la race de ceux qui, a dit Renan, ont introduit les premiers l’idée de la justice dans le monde… Tous, tous ceux-là, mes ancêtres et mes frères, ont voulu, fanatiquement, qu’il fût fait à chacun son droit et que ne penchât jamais injustement le plateau de la balance. Pour cela, depuis des siècles, ils ont crié, chanté, pleuré, souffert, malgré les outrages, malgré les insultes et les crachats. Je suis des leurs et je veux l’être. Étant ainsi, ne pensez-vous pas que j’ai raison de parler de ceux auxquels vous n’avez pas songé ?

Beaucoup en voulurent à Bernard Lazare, les uns

  1. Aurore du 7 juin 1899.