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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


net. D’autre part, Clemenceau le harcelait avec sa dureté ordinaire, traitait, ses futurs collaborateurs d’« anciens ministres éculés », et pronostiquait la défaite[1].

Poincaré, bien que le cœur n’y fût plus, essaya d’un dernier marchandage. Ayant réuni Brisson qui l’eût aidé volontiers à aboutir, les huit députés[2] et le sénateur Monis qui avaient accepté d’entrer dans son cabinet, il fit proposer par Sarrien aux bureaux des groupes radicaux de leur donner deux portefeuilles en plus, celui de la Marine à De la Porte et à Vallé celui de l’Agriculture, qu’il avait destiné d’abord à un modéré (le sénateur Dupuy), s’ils cessaient leur opposition à Barthou. Mais les radicaux refusèrent avec quelque superbe, soit que leur rancune contre Barthou l’emportât sur tout autre sentiment, soit que le prix où l’on taxait leur concours leur parût trop bas[3]. Il y avait beaucoup moins de places que de candidats ; la table, que les chefs refusaient de présider, était trop étroite pour toutes les non-valeurs qui brûlaient de s’y asseoir. Quand Sarrien rapporta le refus à la réunion qui l’avait délégué, il ne s’y trouva personne pour conseiller la surenchère d’un troisième portefeuille. Il eût été difficile à Poincaré, s’il avait été l’ennemi de

  1. « Le don de Poincaré n’est pas à dédaigner : c’est l’intelligence. Il pourrait faire remarquablement à côté de quelqu’un qui fournirait le caractère… Il applique le meilleur de son intelligence à faire échouer sa combinaison… Poincaré avec Krantz et Barthou, c’est Méline au pouvoir… etc. » (Clemenceau, dans l’Aurore des 15 et 16 juin 1899.)
  2. Ribot, Sarrien, Barthou et quatre membres du cabinet démissionnaire, Delcassé, Guillain, Delombre et Krantz, et le sous-secrétaire d’État Mougeot.
  3. « Quelques brouillons radicaux, malgré l’appât de deux portefeuilles supplémentaires… » (Fournière, dans la Petite République du 19.) « Dosage et marchandage : quelle pitié ! » (Ranc, dans le Matin du 20.)