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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


étaient à craindre[1]. » — La vieille femme[2] qui lui avait loué sa maison fut assaillie de lettres d’injures et de menaces ; on colporta « qu’elle avait fait placer dans le même caveau, par économie, afin de n’avoir pas à partager ses fleurs, le corps de son mari et celui de son amant ». Il fallut qu’elle offrît, publiquement, de faire ouvrir la sépulture familiale[3].

Waldeck-Rousseau s’appliquait surtout à prévoir. Breton lui-même, il connaissait ses compatriotes. La haine des Provençaux, par exemple, eût pu passer en démonstrations bruyantes, gênantes, après tout inoffensives ; d’avoir crié pendant quelques heures : À mort Dreyfus ! ces gens du Midi, le soleil aidant, eussent été aussi soulagés que de l’avoir écharpé. Ceux-ci, au contraire, taciturnes, repliés sur eux-mêmes, sentant fortement, mais cachant profondément leurs joies et plus profondément encore leurs colères, exagérant la froideur apparente à mesure qu’ils s’irritaient le plus, étaient autrement dangereux, comme un volcan qui retiendrait ses fumées et ses mugissements jusqu’à l’éruption. Il savait que le mal prévenu passe pour n’avoir pas existé, mais il ne « travaillait » point pour l’opinion. Deux idées surtout lui faisaient horreur : qu’un malheureux, qui venait se faire juger, fût insulté en remettant le pied sur le sol français ; et que l’odieuse bagarre dégénérât en émeute, que le sang coulât. Depuis quelques jours, les nouvelles de Rennes semblaient particulièrement inquiétantes (la venue imminente de Déroulède, beaucoup de conciliabules avec les envoyés de Guérin, et des distributions

  1. Journal de Rennes du 25 juin 1899.
  2. Mme Godard.
  3. Lettre du 27 au Journal.