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LE RETOUR DE L’ÎLE DU DIABLE


sont en scène, où il y a comme un protocole des beaux sentiments et des beaux gestes. Mathieu se persuada que Demange et Labori se compléteraient pour le mieux ; la sagesse et l’expérience consommée de l’un, la vigueur et la dialectique offensive de l’autre, trouveraient également leur emploi dans le procès.

Dreyfus, quand il vit entrer Demange, se jeta dans les bras de son vieil ami qui sanglotait ; il remercia ensuite Labori, dont il avait entendu le nom pour la première fois par sa femme. Tous deux lui firent alors un récit succinct des événements ; il les écouta en haletant, demandait comment on avait pu commettre tant de crimes « contre un homme qui portait l’uniforme » ! Le lendemain, ils lui remirent leur dossier, pour qu’il en prît connaissance à loisir, c’est-à-dire la sténographie des procès de 1898 et l’enquête de la Cour de cassation.

Il passa ainsi, toute une nuit à lire le compte rendu du procès de Zola, lecture passionnante, comme du roman le plus extraordinaire, pour le premier venu, — combien plus émouvante pour lui, le héros du drame, encore prisonnier, qui découvrait tout d’un coup, dans cette pauvre cellule, le seul coin de patrie qui lui fût encore rendu, l’ensemble de l’étonnante aventure que le reste du monde avait vécu au jour le jour, la sienne ! Pareille jouissance intellectuelle n’a été donnée à personne.

Son idéal militaire ne succomba pas au récit de tant de crimes commis contre lui par des soldats.

Il fallut lui dire ensuite que ces haines forcenées n’avaient pas désarmé et que la bataille serait encore dure. Mais il s’était toujours senti fort contre le destin, et des forces nouvelles lui venaient de sa première victoire, de sa femme et de ses frères retrouvés, des mil-