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LE RETOUR DE L’ÎLE DU DIABLE


n’aurait pas été écrit par Dreyfus[1] » ; il n’en restait pas moins que le procès, réduit au bordereau, serait un combat moins difficile qu’une bataille contre la masse de faux et d’inventions de toutes sortes que les amis de Mercier se proposaient de remettre en ligne. Toute pâle qu’elle parût à côté de l’évidence, cette vérité juridique était ce qui les gênait le plus. Ils voulaient que l’arrêt ne fût qu’une « opinion », « un simple succès de procédure » qui laissait à dire le mot de l’énigme ; limiter l’action de la justice militaire serait attenter à son indépendance et lui dicter un verdict d’acquittement[2].

Les instructions de Galliffet à Carrière furent rédigées par Waldeck-Rousseau lui-même, sur une consultation du garde des Sceaux Monis, et résumées fort exactement dans une note officieuse[3]. Il y était précisé au commissaire du gouvernement que ses réquisitions ne devaient porter sur aucun des points où la Cour de cassa-

  1. Selon Mornard, « la Cour de cassation avait posé à la juridiction de renvoi la question de savoir si Dreyfus avait commis le crime à lui imputé en livrant des notes et des documents mentionnés dans le bordereau sus-énoncé, ce qui aurait exclu la possibilité légale, pour les juges militaires, d’imputer à Dreyfus la confection matérielle du bordereau. » (Cass., IV, 233, 239.) Ce n’est l’avis ni du conseiller Boyer ni du procureur général Baudouin qui s’appuyent sur le texte même de l’arrêt : « Attendu que ces faits tendent à démontrer que le bordereau n’aurait pas été… etc. » Mornard lui-même écrit : « L’arrêt précise deux choses : d’une part, les prétendus aveux n’existent pas ; d’autre part, le bordereau apparaît comme n’ayant pas été écrit… » (IV, 232.)
  2. « On a tendu, osent-ils dire, un piège au conseil de guerre. On ne livre à son arbitrage souverain que le bordereau. La justice militaire, par conséquent, limitée dans son action, n’est plus libre. » (Duruy, dans le Figaro du 11 juin 1899.)
  3. Note de l’Agence Havas du 20 juillet. — Les instructions furent transmises à Carrière par la voie hiérarchique. (Procès Dautriche, 649, Galliffet.)