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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Si Négrier, en tenant ces propos, n’avait pas eu conscience d’une lourde faute contre la discipline et d’une mauvaise action, il n’aurait pas recommandé aux officiers de s’en taire, même « entre eux », et il en eût rendu compte au ministre. Aucune manœuvre plus perfide n’avait été encore tentée. Il s’offrait comme le défenseur de l’armée contre le gouvernement et se couvrait du conseil supérieur, qui n’avait pris aucune résolution comminatoire et ne s’était même pas réuni.

Les colonels, en répétant ces déclarations, y ajoutaient.

Comme il arrive toujours dans ces sortes d’affaires, le silence, nécessaire au succès, ne fut pas gardé. Le 10 juillet, une dénonciation avisa Galliffet que le colonel Bertrand, du 10e régiment de ligne, à Auxonne, avait réuni ses officiers « dans la salle d’honneur » pour leur faire un étrange discours. Il l’appela aussitôt dans son cabinet, lui donna lecture de l’allocution qu’il aurait prononcée ; Bertrand en convint, « à un mot près », mais sans dire, d’abord, que c’était par ordre de Négrier. Il parut fort surpris d’avoir mal fait (ce qui peint l’état des esprits), ne nomma Négrier que sous le coup des reproches du ministre qui lui demandait « de quel droit il préparait les officiers à la révolte ». Négrier, convoqué à son tour et mis en présence des aveux du colonel, ne contesta pas ce qui ne pouvait plus être nié[1]. Galliffet voulut une déclaration écrite, la porta au conseil et proposa de relever

  1. Chambre des députés, 14 novembre 1899, Galliffet : J’ai fait venir immédiatement le général de Négrier et, ces explications m’ayant paru insuffisantes, je l’ai invité à me les donner d’une façon plus complète. Dans l’explication qu’il m’a fournie, le général de Négrier varia un peu les termes de la communication » (telle qu’elle avait été dénoncée à Galliffet). — J’ai reproduit les principaux passages de l’allocution de Négrier