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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/282

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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


ongles à Esterhazy », ses anciens protecteurs gardaient des inquiétudes à son endroit. Ils affectaient de n’attacher nulle importance à ses inventions contradictoires, de mépriser ses menaces, laissaient ou faisaient dire qu’il était vendu aux juifs, finissaient toujours par céder, par lui jeter un os. En effet, ils avaient beau se persuader que ses munitions étaient fort épuisées (après ses révélations sur la collusion et son demi-aveu au sujet du bordereau), pourtant ils n’en étaient pas sûrs ; — de fait, il n’avait pas encore produit sa réserve, notamment les lettres d’Henry et de Du Paty, à l’époque de l’enquête Pellieux et de l’instruction Ravary[1] ; — et, surtout, Mercier redoutait qu’il se décidât, dans un accès de colère, à user du sauf-conduit qui lui avait été adressé et à paraître à Rennes.

Esterhazy, sentant ses avantages, poussa vivement sa pointe :

L’univers entier est contre moi, écrit-il à Cabanes, mais j’ai l’âme d’un soldat de Sforze… Il ne faut pas acculer un reître tel que moi au désespoir ; un reître n’est pas un employé des contributions indirectes… Quand je produirai mon boniment n° 2, ils seront tous perdus. Ah ! les canailles ! les sales, les ignobles coquins !… Quelque assassiné que je sois, le jour où je le voudrai, il y aura deux grands chefs qui n’échapperont pas au châtiment… Quand vous verrez des nationalistes, vous leur direz que je suis sans argent, que Judet est un misérable, que Gonse ira au bagne… Ces gens-là vont me forcer à les tuer, à tuer Du Paty… Pour Dieu, faites-leur savoir que c’est de la démence. Ah ! les brutes ! Envoyez-moi quelqu’un de sûr, qu’ils m’envoient quelqu’un, je leur dirai ce qui va leur arriver… Dites bien que je me réserve de produire moi-

  1. Il ne les produisit que six mois après, en février 1900, dans sa déposition devant le consul de France à Londres.