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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Cette immense bredouille accrut nécessairement l’effervescence des revisionnistes, surtout à Rennes[1]. Dans le drame à jet continu où ils vivaient depuis si longtemps, les plus réfléchis avaient perdu l’habitude de raisonner de sang-froid, n’écoutaient que leur passion.

Au premier moment, sur la nouvelle que des papiers importants avaient été pris sur Labori à peine tombé, il n’était pas défendu de croire que le meurtrier avait des complices[2]. Le vol démenti, l’hypothèse croulait ; mais nous fûmes seulement quelques-uns à y renoncer. La plupart des revisionnistes s’obstinèrent à dire et même à croire que le coup avait été prémédité par

  1. Le préfet renforça les mesures d’ordre ; le maire Lajat et le député Le Hérissé adressèrent une proclamation aux habitants : « Un abominable attentat, dont l’auteur ne peut se réclamer d’aucun parti, vient de déshonorer notre chère ville de Rennes… Résistez aux provocations… etc. » L’archevêque, le cardinal Labouré, supprima, par prudence, la procession annuelle du 15 août ; les curés lurent en chaire une Lettre du prélat : « Notre religion ne peut être le témoin d’un attentat sans le réprouver la première, ni de haines fraternelles sans chercher à les apaiser. »
  2. « On n’assassinait pas simplement pour le plaisir ; On se proposait un but utilitaire. Is fecit cui prodest. Comment les jésuites expliquent-ils qu’au moment où Labori tombait, plusieurs personnes se soient trouvées là tout à point pour lui vider ses poches ? Le vol des papiers succédant immédiatement aux coups de revolver montre le concert de la bande… » (Clemenceau). — « Quand tu crus voir venir à toi le bon Samaritain, c’est un pharisien infâme qui, faisant mine de te secourir, volait tes papiers. » (Anatole France.) — De même Cornély, Marcel Prévoit, Yves Guyot, Harduin, etc. — Ce fut aussi mon premier sentiment : « C’est un crime froidement prémédité, calculé, ordonné par les hommes qui suivaient un plan, avaient sujet d’avoir peur pour eux ou leurs clients de la parole vengeresse de Labori, tremblaient devant les documents dont ils le croyaient détenteur. » Gast m’avait écrit : « C’est certainement un complot : le vol des papiers le prouve. » — Les papiers, comme on le sut plus tard, étaient une lettre de Clemenceau à Jaurès et une lettre de moi à Labori.