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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/447

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RENNES


une simple coïncidence due au hasard » ; enfin, si Esterhazy n’a pas reçu de l’argent des Dreyfus, ce qui paraît le plus probable, pour s’assimiler le graphisme conventionnel du traître, il se peut aussi que tous deux aient été simultanément au service de Schwarzkoppen « qui leur aurait communiqué son procédé ». — Écrite également sur gabarit la lettre de Mathieu Dreyfus qui a été prise dans le buvard de son frère. — Bertillon, ayant tracé sur une feuille de papier ordinaire « une chaîne imbriquée », reproduit (à peu près), sur une feuille de papier calque, l’écriture du bordereau. Quel faussaire, quel dessinateur, tant soit peu habile, ne réussirait pas, sans gabarit, à reproduire n’importe quelle écriture longuement étudiée ? Ni Guénée père et fils, ni Lemercier-Picard n’ont fait usage du gabarit, ni Bertillon lui-même quand il a « refabriqué » le faux Weyler avec une si merveilleuse exactitude qu’Henry lui-même s’y serait trompé[1].

Demange questionna l’anthropométreur avec beaucoup de fine ironie, Labori lourdement, opposant « la faiblesse de sa propre intelligence » au « génie » du témoin ; mais ce qu’il fallait voir, c’était l’attention soutenue des juges à observer Bertillon, se démenant au tableau noir, avec des gestes d’exorciseur, ou récrivant le bordereau, « penché sur sa table comme un alchimiste du moyen-âge sur ses cornues[2] »,

Ils écoutèrent avec la même faveur le capitaine Valério qui avait perfectionné, à la demande de Mercier, le système de l’auto-forgerie, « preuve matérielle de la cul-

  1. Rennes, II, 369, 372, 373, 379, 380, etc.
  2. Jaurès, Petite République du 27 août 1899. — Barrès : « Bertillon a montré aux hommes compétents la matérialité de la culpabilité de Dreyfus en refaisant devant le conseil le bordereau. » (Journal du 1er septembre.)