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RENNES


empêcher les généraux, par tous les moyens, de mettre à exécution leur plan : « Pour faire dire aux généraux que Dreyfus est coupable, il faut qu’ils pensent le moins possible à Esterhazy, qu’ils l’oublient, qu’il flotte loin de leur esprit comme de leurs yeux, en dehors du procès, comme une ombre pâle, qu’une savante distribution de lumière et d’ombre le rende comme invisible[1] ». Or, l’absence opérait aussi sur les deux avocats ; ils laissèrent Esterhazy tourner au mythe, au fantôme, quelque chose d’obscur et de lointain.

Pourtant, quelques témoins l’évoquèrent, moitié traître, moitié escroc : Grenier, Jules Roche, l’anglais Strong, l’agent Desvernine qui l’avait suivi chez Schwarzkoppen ; surtout Émile Picot, qui savait directement de l’attaché autrichien comment Esterhazy, cassé aux gages par l’attaché allemand, avait essayé de renouer, d’où le petit bleu dicté, puis déchiré ; et le lieutenant Bernheim qui lui avait prêté une réglette de tir qu’il n’avait jamais rendue[2]. — Seulement, dès que des accusations d’Esterhazy contre l’État-Major on passait aux preuves des témoins à charge contre Esterhazy, de menteur il redevenait sur l’heure calomnié, l’Esterhazy d’autrefois, non plus le stipendié, mais le martyr des juifs. — Si Esterhazy avait voulu avoir le Manuel de tir, il l’aurait eu du capitaine Lerond qui accompagna aux écoles à feu les officiers étrangers à l’artillerie. — Labori demande à Roget comment il concilie la visite d’Esterhazy à Schwarzkoppen et son rôle d’agent du Syndicat ; Roget : « Je n’ai pas à dire ce que j’en pense. » — Mercier fait venir du régiment de Bernheim une réglette pareille à celle qui aurait été

  1. Jaurès, Petite République du 12 août 1899.
  2. Rennes, II, 3, Grenier ; 244, Roche ; 251, Desvernine ; 287, Strong ; III, 53, Picot ; 141, Bernheim.