Si donc Dreyfus, « qui est un homme très intelligent », faisait des brouillons à l’île du Diable, il n’a certainement pas écrit le bordereau « comme on écrit un vulgaire papier ; il y a peut-être bien mis quelques précautions, et ces précautions, tendant à des similitudes d’écriture, ont bien pu faire tomber sa facture dans la facture de son frère ou dans la facture d’Esterhazy ». — Et c’est tout ; « les études ardues auxquelles il s’est livré » et « l’audition scrupuleuse de cette masse de témoins » ne lui ont pas suggéré autre chose à dire « au nom de la société dans sa collectivité », « d’une entité qui n’a pas de passions » ; mais cela suffit : « Ma conviction, qui semblait s’être faite, au début, dans le sens de l’innocence, s’est transformée petit à petit dans l’autre sens, et aujourd’hui, en mon âme et conscience, je vous le déclare, Dreyfus est coupable[1]. »
Un tel réquisitoire, dans la plus tragique affaire du siècle, remplit de stupeur les partisans de la recondamnation ; ceux de Dreyfus, après un quart d’heure, avaient cessé, pour la plupart, de s’indigner, ils s’amusaient d’une telle sottise et se reprirent à espérer. Si le commissaire du gouvernement, laissé libre par le ministre de la Guerre, n’a pas trouvé d’autres preuves contre Dreyfus que ses brouillons raturés de l’île du Diable, et d’autres arguments que celui-ci : « Rien n’est certain,
- ↑ Rennes, III, 572 à 593, Carrière.