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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


voulût ou non, sortait du terrain étroitement juridique. Évidemment, la loi ne saurait être interprétée dans un sens ou dans l’autre, selon les convenances, même les plus nobles, des intéressés. Cependant, en fait, les uns et les autres éclairaient à d’autres lumières que celles de la grammaire et de la jurisprudence le sens du mot « parties ». Ceux-ci, qui s’étaient dépensés en mille efforts pour soustraire Picquart, en raison du petit bleu, au conseil de guerre, trouvaient indispensable, pour la justice complète, d’y renvoyer Dreyfus, en raison du bordereau. Ceux-là se demandaient si ce n’était pas trop risquer (l’honneur de l’homme, le bon renom de l’armée, la paix du pays) que de prendre le parti le plus commode, sinon le plus faible. Mais, déjà, il était certain que les conseillers n’assumeraient pas d’eux-mêmes, puisque l’avocat ne leur en faisait pas un devoir, la responsabilité de déclarer Dreyfus innocent ou coupable, et qu’ils la laisseraient à des soldats passionnés, dont le métier n’est pas de juger et qui ne sont pas tenus de motiver leur réponse. Les républicains proclamaient la suprématie du pouvoir civil et déclamaient sur ce thème, comme sur tant d’autres ; et ce solennel arrêt des Chambres réunies de la Cour suprême, prononçant non seulement en droit, mais en fait[1], on allait le soumettre à sept officiers, pris au hasard.

  1. Appleton, loc. cit., 6 : « En matière de revision de procès criminel, la Cour de cassation ordonne des enquêtes, des expertises, provoque toutes les mesures d’instruction qui lui paraissent utiles. Lorsqu’elle prononce son arrêt, c’est le fait qu’elle juge, en même temps que le droit. »