Page:Kant - Anthropologie.djvu/198

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société qui s’est entretenue pendant trois heures en voiture d’une partie de plaisir, à la descente, quelqu’un, voyant l’heure qu’il est, dit gaiement : combien de temps sommes-nous restés ? — ou bien : comme le temps a été court ! Au contraire, si l’attention qu’on donne au temps n’était pas rapportée à une peine à laquelle nous voulons échapper, mais bien à un plaisir, comme on regretterait à bon droit cette perte de temps ! — On dit de conversations dont l’objet est peu varié qu’elles sont longues, et par conséquent ennuyeuses ; et d’un homme qu’il est court si, sans être important, il est cependant agréable ; il est à peine entré dans la salle, que tous les visages se dérident, comme si l’on allait être soulagé d’un poids par la gaieté.

Mais comment expliquer ce phénomène : un homme qui a passé la plus grande partie de sa vie à s’ennuyer, pour qui chaque jour était long, se plaint cependant à la fin de sa carrière de la brièveté de la vie ? — Il en faut chercher la cause dans une analogie avec l’observation extérieure de même nature : d’où vient que les milles allemands (qui ne sont pas mesurés ou marqués par des bornes milliaires, comme les verstes russes) sont d’autant plus courts qu’on approche davantage de la capitale (par exemple de Berlin), et d’autant plus grands qu’on s’en éloigne davantage (comme en Poméranie) ? C’est que le plein des objets aperçus (villages et maisons de campagne) opère dans la mémoire un raisonnement illusoire sur un grand espace parcouru, par conséquent aussi sur un temps