Page:Kant - Anthropologie.djvu/416

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui est l’œuvre de la seule fantaisie, est représentée comme un objet qui serait présent aux sens extérieurs. Le trouble résultant de la prétendue apparition d’une chose qui ne devrait pas être visible d’après l’ordre naturel, ne tardera pas à exciter l’attention, quoique au début un pareil fantôme de la fantaisie fût très faible ; et l’apparente sensation sera si vive qu’elle ne permettra plus à celui qui l’éprouvera d’en suspecter la vérité. Cette tromperie peut atteindre tous les sens extérieurs, car l’imagination renferme des images copiées de chacun d’eux, et le désordre du tissu nerveux peut faire déplacer le focus imaginarius du point d’où l’impression sensible d’un objet corporel réellement présent proviendrait. Rien alors d’étonnant si le fantaste croit voir ou entendre très clairement beaucoup de choses que personne autre ne perçoit, et si ces chimères apparaissent et disparaissent subitement à ses yeux, ou si ne faisant illusion qu’à un seul sens, par exemple à la vue, elles ne peuvent être perçues par aucun autre, et semblent par conséquent pénétrables. Les contes ordinaires de revenants se réduisent si fort à des déterminations de ce genre, qu’ils justifient extraor-dinairement cette présomption, que telle en effet peut bien être leur origine. Et la notion courante d’êtres spirituels, notion que nous avons tirée plus haut de la commune manière de parler, est très conforme à cette illusion, et ne répudie pas son origine, parce que la propriété d’une présence permanente

    au point où est l’objet. Pareillement, la distension des vaisseaux du cerveau, qui n’est peut-être que passagère, et qui peut n’atteindre que quelques nerfs, peut faire que certaines images de la fantaisie nous apparaissent, même dans l’état de veille, comme hors de nous. Une expérience très commune peut être comparée à cette illusion. Quand, après un sommeil passé avec un bien-être voisin de l’assoupissement, et qu’avec des yeux pour ainsi dire divisés on regarde toutes les espèces de fil des rideaux du lit ou de la couverture, ou bien les petites taches d’un mur voisin, on en fait aisément des figures humaines et autres. L’illusion cesse aussitôt qu’on le veut et que l’attention s’applique. Ici le déplacement du focus imaginarius des fantaisies est en quelque sorte soumis à la volonté, quand au contraire la volonté ne peut se changer dans l’hallucination.