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Page:Kant - Anthropologie.djvu/60

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On est séduit par le premier, mystifié par le second. — De là vient aussi que l’on ne peut supporter des statues d’hommes ou d’animaux peintes d’après nature ; le spectateur y serait trompé, et prendrait ces statues pour des êtres vivants toutes les fois qu’elles tomberaient inopinément sous son regard.

La fascination (fascinatio), dans un état d’esprit sain d’ailleurs, est un prestige des sens dont on a nié la compatibilité avec les choses naturelles, attendu que le jugement qui reconnaît l’existence d’un objet (ou d’une de ses qualités), se convertit irrésistiblement, lorsque l’attention s’y applique, en un autre jugement qui déclare la non existence de cet objet (ou qu’il est autrement) ; le sens paraît donc se contredire lui-même comme un oiseau qui, en face d’un miroir dans lequel il s’aperçoit, volte et regarde son image tantôt comme un oiseau réel, tantôt comme n’en étant pas un. Ce jeu, qui fait que les hommes se défient de leurs propres sens, a lieu principalement chez ceux qui sont agités par la passion, une maîtresse qui, au dire d’Helvétius, avait été vue par son amant dans les bras d’un autre, et qui lui niait intrépidement le fait, put lui dire : « Infidèle, tu ne m’aimes plus, puisque tu t’en rapportes plutôt à ce que tu vois qu’à ce que je te dis. »

La tromperie qu’exerçaient les ventriloques, les Gassner, les Mesmériens, etc., était plus grossière ou du moins plus dangereuse. On appelait autrefois les pauvres femmes ignorantes qui s’imaginaient ainsi faire quelque chose de surnaturel, des sorcières ; cette