Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/127

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échos dans le silence de mort des sombres appartements, et sa propre image, reflétée dans les glaces immenses de ce vide et triste palais, effrayait la fillette. Confiée aux soins de l’ordonnance de son père, Weber, un brave Allemand qui avait le petit défaut de « si mal sentir » que la petite tombait en défaillance à son approche, l’enfant préférait rester seule pendant des heures entières, contente de le savoir loin d’elle, et elle se promenait en liberté dans toutes les chambres du palais. Parfois, elle allait sur le balcon qui surplombait une place déserte, inondée de soleil, et y demeurait longuement, respirant l’air embrasé, comprenant vaguement les motifs du vide qui l’environnait, pensant à ceux qui l’avaient jadis habité, aux petits princes dont les jouets abandonnés étaient devenus les siens. Il lui semblait qu’elle vivait au milieu d’un conte devenu réalité, qu’elle était tombée dans un palais enchanté et que le beau prince des contes de fée s’y trouvait avec elle. Son prince imaginaire, c’était Murat, élégant, étincelant d’or et de diamants. Il enchanta complètement la petite rêveuse qui lui donna un surnom fantastique, celui de Fanfarinet, sans se douter, certainement, que ce surnom contenait une épigramme fort méchante. Murat se divertissait de sa petite adoratrice, qu’il nommait en plaisantant son aide de camp. Le petit aide de camp reçut en cadeau un costume masculin : culotte à la hussard, bonnet à poil, petites bottes à éperons et même un petit sabre. Les détracteurs de George Sand qui se montrèrent plus tard si scandalisés de son costume d’homme, pourront peut-être envisager comme précédent dangereux cette habitude qu’elle en prit toute jeune, et en déduiront même l’explication du fait qu’elle recourut si facilement à ce travestissement à d’autres époques de sa vie. (On peut en compter quatre ou cinq).