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Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/140

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sentir dans l’air. Deschartres, qui n’avait jamais pu pardonner à Sophie le rôle absurde qu’il avait joué par trop de zèle pour empêcher son mariage avec Maurice et qui la détestait, ne faisait que verser de l’huile sur le feu et finit par envenimer les relations de la belle-mère avec la belle-fille. Leurs rapports devinrent de plus en plus tendus ; on en vint des piqûres d’épingles à des observations mordantes. On gardait d’un côté un silence dédaigneux, tandis qu’on se laissait aller de l’autre à des propos et même à des sorties violentes. Sophie ne pouvait prononcer le nom de sa belle-mère — souvent même en présence de la petite Aurore — sans l’accompagner d’une épigramme vulgaire, et Marie-Aurore, avec une réserve méprisante et glaciale, se contentait d’exprimer à haute voix quelque observation à l’endroit de « certaines personnes », et la fillette comprenait parfaitement quelles étaient ces certaines personnes ». Les médisantes commères attachées à la maison colportaient de part et d’autre ces propos. La discorde et les querelles, dans la famille Dupin, devenaient de plus en plus violentes et aboutirent finalement à une vraie lutte de partis. Aussi longtemps que dura cet état de choses, c’est-à-dire pendant environ douze ans, jusqu’à la mort de l’aïeule, la petite Aurore représenta la pomme de discorde ; elle fut comme une allumette entre deux feux. Vers l’automne de 1810, il était déjà évident que, malgré le désir qu’on avait de vivre en paix et en bonne intelligence, la vie en commun était devenue impossible pour ces deux femmes. Après beaucoup de débats et de pourparlers, il fut décidé que l’aïeule seule se chargerait dorénavant d’Aurore, qu’elle assumerait toute la responsabilité de son éducation et qu’elles passeraient toutes deux la majeure partie de l’année à Nohant, ne venant à Paris qu’en hiver pour