Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/158

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des résumés de la jeune fille avec les manuels dont elle se servait, et Aurore ne pouvait se contenter d’une exposition aride de ses lectures. Elle y intercalait tantôt des descriptions de la nature ou des villes, tantôt elle complétait et commentait les actions mal motivées des personnages historiques en y ajoutant des aperçus et des détails de sa propre invention. La moindre indication dans le texte suffisait à Aurore pour lui faire émailler sa narration de levers et de couchers de soleil, d’orages, « de ruines, de fleurs, des sons de la flûte sacrée ou de la lyre d’Ionie », du cliquetis et du fracas des armes, etc., etc. La grand’maman était ravie des capacités que montrait sa petite-fille et fut tout particulièrement enchantée lorsque celle-ci, livrée à ses seules inspirations, se mit à « faire de la littérature » en écrivant deux descriptions : l’une d’un orage, l’autre d’un clair de lune. Quel contraste frappant entre la perspicacité de la grand’mère et celle de Sophie-Antoinette ! Celle-ci, après avoir lu les exercices littéraires de sa fille, se contenta d’écrire pour toute réponse : « Tes belles phrases m’ont bien fait rire ; j’espère que tu ne vas pas te mettre à parler comme ça[1] ». La petite Aurore, qui adorait alors sa mère, partagea immédiatement son avis, reconnut qu’elle avait raison de ne trouver que du pédantisme dans « ces belles phrases », et lui promit de ne plus tomber à L’avenir dans de pareilles sottises.

Mais on a beau chasser le naturel, il revient au galop. La passion du mystérieux, les aspirations mystiques d’une âme naturellement religieuse, qui ne trouvait aucune satisfaction ni dans le déïsme raisonné de la grand’mère, ni dans la piété toute superficielle de la mère, le besoin de

  1. Histoire, t. III, p. 12.