Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/288

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Tous les autres biographes amis se taisent sur Aurélien de Sèze. Et cependant ce fut cet amour, resté toujours pur et platonique, qui décida définitivement du sort futur de George Sand, lui ouvrit les yeux sur le prix et la conception de la vie, lui montra combien il est nécessaire à une femme d’être comprise de l’homme aimé, quelle méprise affreuse était son mariage avec Dudevant et qu’il était impossible de gâcher toute sa vie rien qu’à cause de cette seule méprise.

Voici une page inédite écrite sur un petit calepin et qui nous peint bien l’état d’âme d’Aurore Dudevant à ce moment de sa vie :

« Si l’on savait ce que c’est que le chagrin ! Si l’on pouvait prévoir quelles longues angoisses payeront l’erreur d’un jour ! Mais non. L’homme est si fanfaron de sa nature. Il se lance en souriant au milieu des dangers, la mer orageuse est son élément ; et le moins prudent est souvent le plus sage ; le confiant esclave du sort qui livre sa barque au caprice des flots arrive souvent au port, tandis que l’habile pilote combat vainement la tempête qui se joue de ses prévisions. Il semble que le hasard soit le dieu qui nous gouverne ! Si c’est un lot, si c’est une rencontre fortuite que le bonheur, pourquoi tant de soins pour le fixer ? Pourquoi tant de réflexions avant de faire le bien, et tant de prudence à secourir autrui ? Ce n’est pas de préparer l’avenir qui doit occuper une grande âme. Elle sait trop bien qu’il déjouera ses plans, c’est de le recevoir, qu’il est difficile… Si vous voulez savoir ce que c’est que la douleur, déchirez votre chair avec les ongles, percez-la avec un instrument tranchant et versez sur vos blessures du plomb fondu et de l’huile bouillante, ou supportez l’ardeur d’un brasier, ou frappez votre tête aux murs d’une prison. Mais vous ne saurez pas encore ce que c’est que de