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Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/380

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tion de l’humilité angélique, de la miséricorde chrétienne, de la patience, du sacrifice tranquille et conscient. Laurence se sent saisie envers Pauline d’étonnement, de respect et presque d’adoration. Il lui semble que jamais elle ne serait en état de remplir une mission aussi sublime. Pauline accueille son ancienne amie à bras ouverts et dit que c’est par simple obéissance à sa mère, qui n’avait pas permis de continuer son amitié avec une actrice — selon elle, femme perdue — qu’elle avait cessé de lui écrire. L’aveugle, d’abord fort peu aimable avec Laurence, la traite de « malheureuse », puis s’adoucit, vaincue par les bonnes grâces de la jeune femme qui sait la charmer, et, enfin, pour faire pièce à toute la petite ville, la prend sous sa protection et fait éclater aux yeux de tous l’amitié qu’elle lui témoigne. La nouvelle de l’arrivée d’une belle inconnue se répand aussitôt dans la ville, remuant ce marais stagnant. Les rumeurs, les bruits, les commérages se propagent. Enfin, poussés par la curiosité, les habitants de Saint-Front n’y tiennent plus, et, sous des prétextes spécieux, ils se rendent chez la mère de Pauline. La scène de l’apparition de presque toute la ville dans le salon éternellement silencieux et toujours désert de la vieille Mme D., la lutte des petits amours-propres et des mesquines vanités avec la curiosité ; les potins, les coups d’épingles et les grosses médisances, tous ces bas-fonds de la vie provinciale remués tout à coup jusque dans leurs profondeurs par l’arrivée, sinon d’un « inspecteur général », au moins d’une célébrité, sont dépeints de main de maître en traits concis, énergiques, incisifs, mais pleins, en même temps, de bonhomie et d’humour. Ce sont là des pages que l’auteur du « Reviseur », lui-même pourrait presque envier. Tous, MM. les maires et Mmes les sous-préfettes, sont si pleins d’une terreur