Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/90

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inaperçues même dans des souvenirs de ce genre et que le mensonge ne trompera personne. Mais la question se complique étrangement s’il s’agit de souvenirs rédigés par un écrivain de talent, surtout si ces souvenirs n’ont pas seulement trait aux personnages connus par l’auteur et aux événements dont il fut témoin, mais encore aux événements et aux actes de sa propre vie. Il arrive alors que l’homme le plus véridique omet, çà et là, certaines choses, laisse certaines lacunes, ou éclaire certains faits à sa guise. Il ne peut y avoir d’exceptions sous ce rapport, et plus un auteur a de génie, plus il est difficile de démêler de la vérité toute nue les enjolivements dont il l’orne, ces enjolivements affectassent-ils même le cynisme de Jean-Jacques ou la simplicité exagérée d’un grand écrivain moderne russe. C’est ce qui explique notre peu de foi en des « Mémoires » écrits avec talent ; nous ne croyons volontiers qu’aux notes authentiques, prises au jour le jour. (Nous partageons donc théoriquement l’avis de Niecks, mais le lecteur verra plus loin que nous différons de lui dans l’application de sa théorie.) Nous accordons encore plus de foi aux simples lettres privées, — naturellement, non à celles qu’écrivent des hommes plus ou moins éminents qui savent d’avance qu’elles paraîtront un jour dans l’Antiquité russe ou dans la Revue des deux Mondes et qui les écrivent en vue de la postérité, — mais à de simples et modestes lettres privées. En confrontant ces simples lettres, écrites à différentes personnes, on se fait d’une personnalité donnée une idée bien plus exacte que celle qu’on « tire » d’œuvres et de notices purement artistiques ou de souvenirs destinés à la publicité. Pour bien comprendre à quel point des lettres peuvent servir à faire apprécier à sa juste valeur une personnalité historique, il suffit de rappeler le revirement dans l’opinion