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Page:Krafft-Ebing - Psychopathia Sexualis, Carré, 1895.djvu/23

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mission et le prix d’un bonheur futur acheté par les peines du moment, mais c’est aussi une joie réelle, parce que tout ce qu’on croit venir de la divinité chérie, tout ce qui se fait par son commandement ou en son honneur, doit remplir l’âme de plaisir. L’ardeur religieuse devient alors l’extase, état dans lequel l’intellect est tellement préoccupé des sensations et des jouissances psychiques que la notion de la torture subie peut exister sans la sensation de la douleur.

L’exaltation du délire religieux peut amener à trouver de la joie dans le sacrifice des autres, si la notion du bonheur religieux est plus forte que la pitié que nous inspire la douleur d’autrui. Des phénomènes analogues peuvent se produire dans le domaine de la vie sexuelle ainsi que le prouvent le Sadisme et particulièrement le Masochisme.

Ainsi l’affinité souvent constatée entre la religion, la volupté et la cruauté[1], peut se résumer par la formule suivante : le sens religieux et le sens sexuel, arrivés au maximum de leur développement, présentent des similitudes en ce qui concerne le quantum et la nature de l’excitation ; ils peuvent donc se substituer dans certaines conditions. Tous deux peuvent dégénérer en cruauté, si les conditions pathologiques nécessaires existent.

Le facteur sexuel exerce aussi une grande influence sur le développement du sens esthétique. Que seraient les beaux-arts et la poésie sans l’élément sexuel ! C’est l’amour sensuel qui donne cette chaleur d’imagination sans laquelle il n’y a pas de véritable œuvre d’art ; c’est à la flamme des sentiments sensuels que l’art puise son brûlant enthousiasme. On comprend alors pourquoi les grands poètes et les grands artistes sont des natures sensuelles. Le monde de l’idéal s’ouvre

  1. Cette trinité trouve son expression non seulement dans les phénomènes de la vie réelle, tels qu’ils viennent d’être décrits, mais aussi dans la littérature dévote et même dans les beaux-arts des périodes de décadence. Sous ce rapport, on peut rappeler la triste célébrité du groupe de sainte Thérèse de Bernini, qui, prise d’un évanouissement hystérique, s’affaisse sur une blanche nuée, tandis qu’un ange amoureux lui lance dans le cœur la flèche de l’amour divin (Lübke).