Page:Krafft-Ebing - Psychopathia Sexualis, Carré, 1895.djvu/321

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Mme M… a quatre enfants, dont plusieurs sont très délicats et névropathes.

Sur son enfance la malade ne sait rien d’important à nous dire. Elle apprenait facilement, avait des dons pour la poésie et l’esthétique, passait pour être un peu exaltée, aimait la lecture des romans, les choses sentimentales ; elle était de constitution névropathique, très sensible aux fluctuations de la température, et attrapait au moindre courant d’air un cutis anserina[ws 1] très désagréable. Il est encore à noter que la malade, à l’âge de dix ans, eut l’idée que sa mère ne l’aimait pas, trempa un jour des allumettes dans du café, le but afin de devenir bien malade et de provoquer par ce moyen l’affection de sa mère.

Le développement s’opéra sans difficulté dès l’âge de onze ans. Depuis, les menstrues sont régulières. Déjà, avant l’époque du développement de la puberté, la vie sexuelle commença à se faire sentir ; d’après les déclarations de la malade elle-même, ses impulsions sexuelles furent trop puissantes pendant toute sa vie. Ses premiers sentiments, ses premières impulsions étaient franchement homosexuels. La malade conçut une affection passionnée, mais tout à fait platonique, pour une jeune dame ; elle lui dédiait des sonnets et des poésies qu’elle composait ; c’était pour elle un bonheur suprême quand elle pouvait admirer au bain ou pendant la toilette « les charmes éblouissants de l’adorée » ou bien dévorer des yeux la nuque, les épaules, et les seins de la belle. L’impulsion violente de toucher ces charmes physiques fut toujours combattue et refoulée. Étant jeune fille, elle devint amoureuse des « Madones » peintes par Raphaël et Guido Reni. Elle avait l’obsession de suivre pendant des heures entières les belles filles et les belles femmes dans les rues, quel que fût le temps, en admirant leur maintien et en guettant le moment de leur être agréable, de leur offrir un bouquet, etc. La malade m’a affirmé que, jusqu’à l’âge de dix-neuf ans, elle n’eut absolument aucune idée de la différence des sexes ; car elle avait reçu d’une tante, une vieille vierge très prude, une éducation tout à fait claustrale. Par suite de cette ignorance, la malade fut la victime d’un homme qui l’aimait passionnément et qui l’avait décidée à faire le coït. Elle devint l’épouse de cet homme, mit au monde un enfant, mena avec lui « une vie sexuelle excentrique », et se sentit complètement satisfaite par les rapports conjugaux. Peu d’années après, elle devint veuve. Depuis, les femmes sont redevenues l’objet de son affection ; en première ligne, dit la malade,

  1. chair de poule