Page:Krafft-Ebing - Psychopathia Sexualis, Carré, 1895.djvu/395

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pour la première fois je souffris les supplices d’une folle jalousie plus dévorante qu’elle ne saurait jamais l’être dans l’amour naturel. Cette seconde période amoureuse a duré pendant des années, bien que je n’eusse passé que quelques jours avec l’objet de mon amour et qu’ensuite nous ne nous soyons pas revus pendant quinze ans. Peu à peu mon sentiment s’est refroidi pour lui, et je suis encore à plusieurs reprises devenu amoureux fou d’autres hommes qui, sauf un seul, étaient tous de mon âge.

Jamais mon amour – vous me permettrez cette expression pour désigner un sentiment condamné par la majorité des hommes – n’a été payé de retour ; je n’ai jamais eu avec un homme des rapports du genre de ceux qui doivent craindre le grand jour ; jamais un seul d’entre eux n’a eu pour moi plus qu’un intérêt ordinaire, bien qu’un des amis auxquels je faisais la cour, eût deviné mon désir secret. Et pourtant, je me suis consumé dans le désir ardent de l’amour des hommes. Mes sentiments sont, dans ce cas à mon avis, tout à fait ceux d’une femme aimante ; et j’aperçois avec épouvante que mes représentations sensuelles deviennent de plus en plus semblables à celles d’une femme. Pendant les périodes où je suis libre d’une affection précise, mon désir dégénère, car, en me livrant à mes procédés d’onanisme, j’évoque des idées grossièrement sensuelles. Je peux encore lutter contre ce mal, mais c’est bien vainement que je tente de supprimer l’amour même. Depuis une année, je souffre de cette exaltation de mes sentiments ; j’ai tant médité sur leur particularité, que je crois pouvoir vous donner une description exacte de mes sensations. Mon intérêt est toujours éveillé par la beauté physique. J’ai fait, à ce propos, la curieuse remarque que je n’ai jamais aimé un homme barbu.

On pourrait en inférer que je suis voué à ce qu’on appelle l’amour des garçons. Cependant cette supposition n’est pas exacte. Car au charme sensuel dont j’ai parlé, se joint un intérêt psychique pour la personne que je fréquente, ce qui est une source de tourments. Je suis pris d’une affection si profonde que je m’attache avec une sorte d’abnégation. On se lie à moi et cette confiance réciproque pourrait développer une amitié très cordiale, si au fond de mon âme ne sommeillait ce démon qui me pousse à une union plus intime qu’on ne saurait admettre qu’entre personnes de sexes différents. Tout mon être en languit, chaque fibre en palpite et je me consume dans une passion brûlante. Je m’étonne d’être capable d’exposer ici en quelques