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Page:Kropotkine — Paroles d'un Révolté.djvu/154

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Qui ne lit les nouvelles d’Irlande, toujours les mêmes ? La moitié de ce pays est en révolte contre ses seigneurs. Les paysans ne paient plus la rente aux propriétaires du sol ; ceux même qui le voudraient ne l’osent plus, de peur d’avoir affaire à la Ligue Agraire — puissante organisation secrète qui étend ses ramifications dans les villages et punit ceux qui manquent à son mot d’ordre : « le refus des rentes ». Les propriétaires n’osent pas exiger le prix du fermage. S’ils voulaient faire rentrer les rentes qui leur sont dues en ce moment, ils devraient mettre sur pied cent mille hommes de police, et ils provoqueraient la révolte. Si tel propriétaire s’avise d’expulser un paysan qui ne paie pas, il doit lancer au moins une centaine de policiers, car alors il a affaire à la résistance, tantôt passive, tantôt armée, de plusieurs milliers de paysans voisins. S’il réussit, il ne trouve pas de fermier qui risque d’occuper la ferme. Enfin, s’il en trouve un, celui-ci sera bientôt forcé de décamper, car son bétail aura été exterminé, son blé brûlé, et lui-même condamné à mort par la Ligue ou par telle autre société secrète. La situation devient intenable pour les propriétaires eux-mêmes ; dans certains districts la valeur des terres a baissé des deux tiers ; dans d’autres, les seigneurs ne sont plus propriétaires que de nom ; ils n’osent même séjourner dans leurs terres que sous la protection d’une escouade de policemen campant à leurs portes dans des guérites de fer. Le sol reste en friche, et dans le courant de l’année 1879 l’espace des terres cultivées a diminué de 33.000 hectares ; la dépréciation des récoltes pour les propriétaires, d’après le Financial Reformer, n’est pas moindre de 250 millions de francs.