Page:Kropotkine - La Conquête du pain.djvu/137

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tier même. L’état florissant d’une industrie s’achète constamment par la ruine de dix autres.

Et ce n’est pas un accident : c’est une nécessité du régime capitaliste. Pour être à même de rétribuer quelques catégories d’ouvriers, il faut aujourd’hui que le paysan soit la bête de somme de la société ; il faut que la campagne soit désertée pour la ville ; il faut que les petits métiers s’agglomèrent dans les faubourgs infects des grandes cités, et fabriquent presque pour rien les mille objets de peu de valeur qui mettent les produits de la grande manufacture à la portée des acheteurs au salaire médiocre : pour que le mauvais drap puisse s’écouler en habillant des travailleurs pauvrement payés, il faut que le tailleur se contente d’un salaire de meurt-de-faim ! Il faut que les pays arriérés de l’Orient soient exploités par ceux de l’Occident pour que, dans quelques industries privilégiées, le travailleur ait, sous le régime capitaliste, une espèce d’aisance limitée.


Le mal de l’organisation actuelle n’est donc pas dans ce que la « plus-value » de la production passe au capitaliste, — ainsi que l’avaient dit Rodbertus et Marx, — rétrécissant ainsi la conception socialiste et les vues d’ensemble sur le régime du capital. — La plus-value elle-même n’est qu’une conséquence de causes plus profondes. Le mal est dans ce qu’il peut y avoir une « plus-value » quelconque, au lieu d’un simple surplus non consommé par chaque génération ; car pour qu’il y ait « plus-value », il faut que des hommes, des femmes et des enfants, soient obligés par la faim de vendre leurs forces de travail pour une partie minime de ce que ces forces produisent et, surtout, de ce qu’elles sont capables de produire.