Page:Kropotkine - La Conquête du pain.djvu/65

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les sécheresses, les pestes ; ils n’ont ni cheval, ni charrue. (Le fer était coûteux au moyen âge, plus coûteux encore le cheval de labour.)

Tous les misérables cherchent de meilleures conditions. Ils voient un jour sur la route, sur la limite des terres de notre baron, un poteau indiquant par certains signes compréhensibles, que le laboureur qui viendra s’installer sur ces terres recevra avec le sol des instruments et des matériaux pour bâtir sa chaumière, ensemencer son champ, sans payer de redevances pendant un certain nombre d’années. Ce nombre d’années est marqué par autant de croix sur le poteau-frontière, et le paysan comprend ce que signifient ces croix.

Alors, les misérables affluent sur les terres du baron. Ils tracent des routes, dessèchent les marais, créent des villages. Dans neuf ans le baron leur imposera un bail, il prélèvera des redevances cinq ans plus tard, qu’il doublera ensuite et le laboureur acceptera ces nouvelles conditions, parce que, autre part, il n’en trouverait pas de meilleures. Et peu à peu, avec l’aide de la loi faite par les maîtres, la misère du paysan devient la source de la richesse du seigneur, et non seulement du seigneur, mais de toute une nuée d’usuriers qui s’abattent sur les villages et se multiplient d’autant plus que le paysan s’appauvrit davantage.

Cela se passait ainsi au moyen âge. Et aujourd’hui, n’est-ce pas toujours la même chose ? S’il y avait des terres libres que le paysan pût cultiver à son gré, irait-il payer mille francs l’hectare à Monsieur le Vicomte, qui veut bien lui en vendre un lopin ? Irait-il payer un bail onéreux, qui lui prend le tiers de ce qu’il produit ? Irait-il se faire métayer pour donner la moitié de sa moisson au propriétaire ?