Page:Lévi - Mahayana-Sutralamkara, tome 2.djvu/41

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


MÂHÂYÂNA-SÛTRÂLAṂKÂRA

CHAPITRE I

LES PREUVES DU GRAND VÉHICULE

1. Il sait le Sens[1], et il arrange le développement du Sens avec une voix et des mots sans tache, pour sauver du malheur, par pitié du monde malheureux, car il est fait de pitié ; — en montrant, pour les créatures qui vont par le Véhicule suprême, la quintuple méthode d’atteindre au sens de l’Idéal[2] que le Grand

  1. Artha. Le premier mot du texte, tout clair qu’il est, est peut-être le plus difficile à rendre uniformément en français. Le mot artha n’a pas moins d’une dizaine de sens : « affaire ; but ; occasion ; profit, intérêt ; rémunération ; besoin ; moyens, fortune ; objet, chose ; objet des sens ; signification ». J’ai réservé exclusivement le mot « Sens » à le traduire, et j’ai tâché de le traduire partout par ce mot. J’écris donc, comme fait l’original : « le Sens du vers », pour : « la signification du vers », et, le « Sens de soi », le « Sens d’autrui » pour « l’intérêt de soi, le profit d’autrui ».
  2. Dharma. En tibétain ćhos, en chinois fa, qui signifient l’un et l’autre « loi, usage, règle ». C’est là, en effet, un des sens courants du mot ; il suffit de rappeler les dharma-çâstra, les dharma-sûtra du brahmanisme qui sont de véritables codes de la vie domestique et publique. Mais, sans prétendre à tracer ici l’histoire des sens si nombreux de ce mot, qui réclame une véritable monographie, il faut constater au moins qu’il est susceptible d’un nombre considérable de valeurs qui se combinent dans l’esprit hindou. Entre autres, et c’est le cas ici, il désigne la projection sur le plan de l’intelligence pure de toutes les manifestations de la vie active ou passive, interne ou externe, contingente ou transcendante. Il répond au manas « esprit, sensorium commune, sens mental », comme la forme (rûpa) répond à l’œil (cakṣus), le son (çabda) à l’oreille (çrotra), etc. Les écoles bouddhiques se sont évertuées à dresser des listes de dharma qui sont comme la carte géographique du monde de l’intelligible, vu par l’esprit hindou. Les Yogâcâras ont compté cent dharma, quatre-vingt-quatorze « élaborés » (saṃskṛta) et six « inélaborés » (asaṃskṛta) ; ils énumèrent d’abord les huit classes de « sensations » (vijñâna) qui sont la « pensée » (citta) ; puis cinquante et un « états d’esprit » (caitasika), répartis en « grande-terre » (mahâbhûmika),