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Page:La Nouvelle revue, nouvelle série tome 33, 1905.djvu/6

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LA CRISE MORALE

tombe ; et la destruction va plus vite que la construction d’une doctrine nouvelle[1]. C’est l’opinion de tous ceux qui, observant notre état social, font le tour des doctrines, et ne voient pas encore poindre à l’horizon celle qui doit nous guider[2]. Les anciennes théories de la métaphysique et de la théologie sont ébranlées ; et les systèmes nouveaux sont encore hypothétiques[3]. « Ce n’est pas à la disette, dit aussi un moraliste contemporain, niais à l’abondance des idées, qui, de toutes parts, assaillent nos esprits sans que nous sachions comment les concilier, que paraît tenir le malaise intellectuel de notre époque. »[4]. Cette variété apparaît dans le nombre des doctrines proposées au choix de la génération nouvelle. D’après un philosophe qui a fait un remarquable effort pour constituer une morale scientifique, les règles morales qui nous ont conduits jusqu’ici ne sont que des règles empiriques ou des superstitions ; il doit se constituer un art moral rationnel comme il s’est constitué un art médical remplaçant les pratiques routinières[5]. On essaie aussi de constituer une « morale indépendante », non pas en cherchant un idéal éternel, mais en déterminant d’abord la croyance qui convient à notre temps et à nous-mêmes, car « il n’y a de morale sérieuse que celle qui prétend être contemporaine »[6]. Pour d’autres, on devra laisser en morale les mots de devoir, d’obligation, d’impératif ; on fera d’elle une science de la prudence et de la sagesse, en revenant « aux procédés de réflexion de l’épicurisme et du stoïcisme antiques «, capables de conduire au bonheur[7].

À part le livre, des conférences toutes récentes nous permettent aussi de constater les divergences actuelles des esprits relativement à la pratique et à la conduite. Il y a quelques années déjà, des hommes formés par des disciplines très différentes, exposèrent au Collège libre des sciences sociales leurs idées sur la valeur de l’existence, et les fins de notre société contemporaine[8] ; et, l’an dernier encore, l’École de morale chargea un certain nombre de professeurs et de savants de faire connaître au public les grands

  1. Grimanelli : La crise morale et le positivisme, p. 13.
  2. Voir Schérer, loc. cit., et les conférences de MM. Wagner, Belot, dans Morale sociale, leçons professées au Collège libre des sciences sociales.
  3. Mauxion : Les éléments et l’évolution de la moralité.
  4. Conférence de M. Darlu, dans Morale sociale, p. 18.
  5. L. Lévy-Bruhl : La morale et la science des mœurs, 1903.
  6. F. Rauh : l’Expérience morale, 1903.
  7. Cresson : La morale de la raison théorique, 1903.
  8. Voir les deux volumes de la Bibliothèque générale des sciences sociales : Morale sociale et Leçons de morale.