Page:La Revue hebdomadaire 1896 n 228-232.pdf/141

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ON VA FERMER

Comme il était seul, très tard, affalé devant sa quatorzième ou quinzième absinthe, au fond d'un caboulot de dernier ordre, soudain, comme dans un éclair, en un galop furieux, toute sa vie défila devant lui. Il se revit, petit enfant qu'on câline, aux bras de sa bonne, la vieille Françoise, sigrognon, si rébarbative, un épouvantail, la perle des femmes. II revit sa mère qui devait mourir trop tôt pour lui, sa mère aux yeux mélancoliques et doux, et qui n'avait de force que pour aimer. Il écoute, d'un cœur terrifié, les récits de la vieille Françoise. Mais sa mère passe, sourit, lui fait un signe du doigt. Et démons et gnomes s'enfuient dans l'azur qui tombe. Au loin, tout là-bas, une petite voix s'est fait entendre, et c'est bien la plus douce, la plus exquise, la plus innocente qui soit au monde. Dig, dig, dig, din, don! C'est la cloche depur argent, la cloche de l'aurore, la cloche de la prime enfance! Comme elle glisse avec gaieté, sur les bois ensoleillés, les prés en fleurLe pays qu'elle traverse ainsi est bien modeste. Quelques collines, des vignes à mi-côte, maint bouquet d'arbres, un peu d'eau courante. Mais tout cela respire la paix, chante au point du jour, chante au soir tombant; tout cela embaume au temps des fraises.