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« Les plaisirs de l’amour te laissent-ils haletant et abruti, ou te jettent-ils dans une extase divine ? Ton âme survit-elle à ton corps, quand tu quittes le sein de celle que tu aimes ?

« Oh ! quand je te verrai calme, saurai-je si tu penses ou si tu te reposes ? Quand ton regard deviendra languissant, sera-ce de tendresse ou de lassitude ?

« Peut-être penses-tu que tu ne connais pas[1]…, que je ne te connais pas. Je ne sais ni ta vie passée, ni ton caractère, ni ce que les hommes qui te connaissent pensent de toi. Peut-être es-tu le premier, peut-être le dernier d’entre eux. Je t’aime sans savoir si je pourrai t’estimer, je t’aime parce que tu me plais, peut-être serai-je forcée de te haïr bientôt.

« Si tu étais un homme de ma patrie, je t’interrogerais et tu me comprendrais. Mais je serais peut-être plus malheureuse encore, car tu me tromperais.

« Toi du moins ne me tromperas pas, tu ne me feras pas des vaines promesses et des faux serments. Tu m’aimeras comme tu sais et comme tu peux aimer. Ce que j’ai cherché en vain dans les autres, je ne le trouverai peut-être pas en toi, mais je pourrai toujours croire que tu le possèdes. Les regards et les caresses d’amour qui m’ont toujours menti, tu me les laisseras expliquer à mon gré, sans y joindre de trompeuses paroles. Je pourrai interpréter ta rêverie et faire parler éloquemment ton silence. J’attribuerai à tes actions l’intention que je te désirerai. Quand tu me regarderas tendrement, je croirai que ton âme s’adresse à la mienne ; quand tu regarderas le ciel, je croirai que ton intelligence remonte vers le foyer éternel dont elle émane.

  1. Le manuscrit original est coupé à cet endroit, ainsi que nous avons pu nous en assurer de visu ; mais il ne nous a pas semblé que ce fût une mutilation volontaire. (A. C.)