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Page:La Société nouvelle, année 9, tome 1, 1893.djvu/208

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— J’ai besoin de voir Monsieur, murmura Véra d’une voix à peine intelligible. Elle tremblait de tous ses membres, sans cependant rien perdre de sa résolution.

Le gendarme leva sa lanterne de manière à éclairer le visage de Véra et se mit à l’examiner sans cérémonie et sans se presser. Ça doit être une femme de chambre ! se dit-il, sa colère tombant tout à fait.

— Eh, la belle ! Tu sembles fort bien connaître le moyen d’aller chez Monsieur la nuit ! dit-il enfin d’un ton goguenard. Mais ce soir, vois-tu, il ne te sera pas facile d’arriver à lui, ajouta-t-il, changeant de ton et devenant de nouveau rigide.

— Laissez-moi passer, au nom de Dieu ! supplia Véra. De tout ce qu’avait dit ce gendarme elle n’avait compris qu’une chose : c’est qu’on ne la laisserait pas arriver jusqu’à Wassiltzew et qu’elle serait obligée de partir sans avoir vu son ami. Sa voix exprimait une prière si intense et un désespoir si profond que le gendarme, qui avait un faible pour le beau sexe, céda.

— C’est bon, c’est bon ! Il n’y a pas besoin de beugler ! On va voir ce qu’on peut faire… Je suis obligé d’aller le dire au colonel… ajouta-t-il après un moment de réflexion.

Il laissa entrer Véra, lui fit traverser la cour et lui disant d’attendre dans l’antichambre, disparut de l’autre côté de la cloison, où le colonel, déjà couché, avait été réveillé par le bruit.

Une torpeur étrange et une complète insensibilité envahirent de nouveau Véra comme tout à l’heure sur la grand’route. Sans aucun trouble elle entendit le gendarme annoncer au colonel que la maîtresse de Wassiltzew était là voulant lui faire ses adieux. Elle entendit aussi la plaisanterie salée du colonel et sa question : « Est-elle jolie ? » Tout cela arrivait à ses oreilles sans l’émouvoir, comme si elle-même n’eût pas été en cause.

— Que diable ! Eh bien, laisse-la entrer ! Qu’il s’amuse un peu avant de partir, décida-t-il enfin. Le gendarme ouvrit la porte de l’appartement et Véra s’y élança comme une flèche.

— Tu es bien pressée ! dit l’homme en riant. Comment te nommes-tu, la belle ? Ne nous oublie pas une autre fois, quand ton ami sera parti !

Mais Véra n’était plus là. Elle traversa en courant les deux ou trois pièces qui la séparaient de la porte fermée d’où filtrait par la fente une faible lumière.

Wassiltzew se tenait dans sa chambre qui lui servait en même temps de cabinet de travail.

Il ne s’était pas couché, voulant mettre en ordre ses papiers et ses livres. Cette grande chambre avait l’air lamentable que prennent les pièces que l’on va quitter. Du linge, des portefeuilles, des cahiers s’entas-