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Page:La Société nouvelle, année 9, tome 1, 1893.djvu/348

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Cette souffrance de l’attente devint si insupportable que parfois elle en éprouvait, même contre Wassiltzew, un sentiment de colère et d’amertume.

« Si je ne l’avais jamais rencontré, je vivrais tranquille comme mes sœurs ! » se disait-elle pendant ces accès de faiblesse. Une fois que son âme s’abandonnait ainsi au désespoir, elle eut la folie de déchirer en morceaux la dernière lettre de Wassiltzew ; mais lorsque le papier fut tombé en blanche neige sur le plancher, elle se fit horreur : ne venait-elle pas de détruire de ses propres mains ce qu’elle avait de plus précieux ? Elle passa plusieurs heures à ramasser les chers débris et à les coller sur une feuille de papier.

Le printemps était de nouveau revenu ; toujours pas de nouvelles. Véra se promenait souvent du côté du ravin d’où l’on voyait la propriété voisine ; elle y restait des heures entières assise sur un vieux banc en proie à une morne désespérance.

Un jour qu’elle venait d’y arriver, elle aperçut un tarantass quittant la grand’route et se dirigeant vers la maison de Wassiltzew.

« Qu’est-ce que cela veut dire ? Où va cette voiture ? » pensa-t-elle, et son cœur battit violemment.

« Peut-être va-t-elle au bourg voisin ? Mais non, la voilà qui s’engage sur le vieux pont aux planches pourries, elle entre dans l’allée… Seigneur, qui est-ce ? »

L’émotion fut si forte que Véra put à peine se lever ; ses jambes tremblaient ; un pressentiment douloureux lui serrait le cœur, en même temps que le vague espoir de tout savoir enfin lui donnait un frisson de joie. Toute nouvelle valait mieux que l’incertitude !

Elle se dirigea en courant vers la propriété voisine ; mais à mesure qu’elle approchait, ses pas se ralentissaient et son cœur se serrait douloureusement.

Dans la cour où l’herbe a poussé, elle voit le tarantass vide ; le cocher, nu-tête, s’essuie le front et s’occupe des chevaux ; la porte d’honneur, fermée depuis si longtemps, est grande ouverte ; Véra entre dans l’antichambre, puis dans le salon : partout le vide, l’humidité, l’abandon ; à travers les volets entr’ouverts le jour pénètre à peine. Les chaises, les tables, les canapés, tous les meubles sont à leur place comme au jour de son départ. La réalité poignante de ces souvenirs monte subitement au cœur de la jeune fille. Elle se dirige vers le cabinet de travail où l’on entend un bruit de voix ; le vieux portier est en train d’ouvrir les volets rouillés qui ne peuvent céder ; l’ancienne cuisinière, un grand trousseau de clefs à la main, essuie ses larmes avec son tablier ; dans cette demi-obscurité, Véra