Page:La Société nouvelle, année 9, tome 1, 1893.djvu/459

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courses dans les bois. Avec les sauvages, nous mangions, nous dormions, nous marchions. Plus d’une fois nous portâmes à califourchon sur nos épaules les enfants, lesquels s’affectionnèrent tellement, qu’ils préféraient notre compagnie à celle de leurs parents, qui ne nous jalousaient point. Les racines, les lézards, les vermisseaux et semblables aliments qu’ils allaient quérir dans les bois, ils les partageaient fraternellement avec nous, après que furent épuisées nos provisions de riz et de farine. »


Quand ils arrivaient seuls ou avec une faible escorte, ces messagers de la civilisation gagnaient les cœurs par le charme des discours, par des manières accortes, des yeux riant la douceur et la bonté. Mais quelle terreur inspirait l’arrivée soudaine d’un navire du soleil descendu, d’un prodigieux navire aux énormes voiles blanches, dont le ventre s’ouvrait, livrant passage à une troupe armée, à des sabres luisants, à des chevaux, êtres extraordinaires ! Partout la même histoire. Ces étrangers descendus du ciel, investis d’une puissance terrible, furent pris pour des ancêtres, des divinités de la foudre et de la lumière, adorés et obéis. Que ne furent-ils bons et raisonnables !

Une poignée de cavaliers armés de canons et de tromblons conquirent l’Amérique, précédés qu’ils étaient de l’effrayante nouvelle : « Du pays solaire les dieux arrivent lançant la foudre par la bouche, et montant les coursiers du tonnerre » !

Les Mexicains baisaient la proue du navire qui amenait les Espagnols ; les croyant des Immortels à la suite de Quetzalcoatl, ils leur amenaient de belles Indiennes afin de gagner leurs bonnes grâces. Montezuma vint se prosterner devant les mystérieux étrangers, les teignit de sang, leur sacrifia des victimes, offrit à Cortez un costume complet de dieu. À ce dieu, ils donnèrent le nom d’Astre-Roi, à ses compagnons celui d’Enfants du Soleil. Les domestiques furent titrés de prêtres et grands prêtres.

Mais pourquoi ces êtres divins avaient-ils dévalé des nuages ? On ne soupçonnait leur soif de l’or, mais on avait une peur bleue qu’ils décrétassent la fin du siècle. Au lieu de se mettre en ordre de combat, au lieu de frapper d’estoc et de taille, de tuer, de butiner, pourquoi les Espagnols ne se rendaient-ils pas droit aux temples, s’asseyant sur les trônes pour commander aux peuples agenouillés ? Les Floridiens croyaient que les Célestes tuaient par l’éclair des yeux ; des natifs tombèrent raides morts en leur présence ; des femmes plus hardies apportaient des nouveau-nés, imploraient bénédiction. Dans leurs annales pictographiques, les Virginiens marquèrent l’arrivée des Européens par un cygne, qui par le bec jetait feu et fumée. On aspergeait Alarcon de maïs : Tu es notre seigneur, fils du Soleil, et à notre seigneur rien ne doit rester caché. Et chacun