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[Lect. III.]
INDE. — POÉSIE LYRIQUE
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de splendeur ; en lui s’élèvent tous les mondes.

15. Du dieu sont nés six couples de Richis. Une septième naissance leur a donné, dit-on, un frère unique[1]. Chacun a sa place distincte, d’où il dépense ses biens ; chacun a sa forme différemment brillante.

16. D’autres représentent comme de pieuses femmes ceux auxquels je donne un caractère masculin. L’homme qui a des yeux peut voir ce que ne comprendra pas l’aveugle. L’enfant qui est sage et qui pense sait bien faire cette distinction ; il est (dans ce cas) le père de son père[2].

17. La vache (du sacrifice) se lève, soutenant son nourrisson de son pied, qui tour à tour va de bas en haut, ou de haut en bas[3]. Agitée et remuante, tantôt elle sort en s’étendant d’une moitié, tantôt elle s’augmente et se gonfle intérieurement.

18. Celui qui connaît le père (du monde), avec ses (rayons) inférieurs, sait aussi connaître tout cet (univers) à l’aide des (rayons) supérieurs. Marchant sur les pas de nos poëtes, qui peut ici célébrer ce dieu ? D’où est née l’âme (du monde[4]) ?

19. Il est (des êtres), dit-on, qui viennent vers nous et s’en retournent, (des êtres) qui s’en retournent et qui reviennent. Indra, ô Soma, les (mondes) éthérés portent vos œuvres comme (un char) son fardeau.

20. Deux esprits jumeaux[5] et amis hantent le même arbre[6] ; l’un d’eux s’abstient de goûter (le fruit de cet arbre appelé) pippala, l’autre le trouve doux et le cueille.

21. Le seigneur[7], maître de l’univers et rempli de sagesse, est entré en moi, faible et ignorant, dans ce lieu où les esprits[8] obtiennent, avec la science, la jouissance paisible de ce fruit, doux comme l’ambroisie.

22. On appelle donc pippala le doux fruit de cet arbre sur lequel viennent les esprits qui en aiment la bonté, et où les (dieux) produisent toutes leurs merveilles. Ceci est un mystère pour celui qui ne connaît pas le père (du monde).

23. Que les (poëtes) observent et connaissent bien le sujet mystérieux et immortel qu’ils doivent traiter, soit dans leurs Gâyatrîs et leurs Trichtoubhs, soit dans leurs Djagatîs[9].

24. Avec la Gâyatrî se compose l’Arca[10] ; avec l’Arca, le Sâman[11] ; avec le Trichtoubh, le Vâca[12] ; avec le Vâca, l’(Anou) Vâca[13]. Les sept mesures poétiques se composent de l’Akchara, qui forme deux ou quatre Pâdas[14].

25. Avec la Djagatî, (le poëte) a consolidé l’océan céleste ; avec le Rathantara[15], il a suivi le soleil dans sa révolution. La Gâyatrî a, dit-on, les trois foyers[16] ; de là vient qu’elle l’emporte en force et en grandeur.

  1. Ce frère unique est le treizième mois, ou mois intercalaire. Les mois ainsi disposés par couples peuvent prendre le nom des six ritous.
  2. L’enfant savant est en quelque sorte le père de son père. Voy. dans les Lois de Manou, la même pensée exprimée à l’occasion des Angiras, livre iii, sl. 153.
  3. Cette image représente la libation tombant sur le feu : le pied de la vache, c’est la flamme qui reçoit la libation, et qui, par des mouvements alternatifs, éclate ou s’affaisse. Cette flamme pourrait encore être considérée comme brûlant ici dans le sacrifice : c’est le pied inférieur ; et comme brûlant dans le soleil, c’est le pied supérieur.
  4. Manas lôkicam.
  5. Ces deux esprits (le texte dit souparnas, êtres ailés) n’en font qu’un (êkâtmyam) et sont l’esprit suprême (paramâtmâ) et l’esprit de vie (djîvâtmâ). C’est ainsi que Plotin fait l’âme du monde sœur de l’âme humaine. Héracléon dit que l’âme pneumatique a son autre moitié dans la région des intelligences supérieures, moitié avec laquelle elle doit s’unir un jour. Il y a de l’Indien dans toutes ces doctrines.
  6. Sous l’allégorie d’un arbre, les poëtes font souvent allusion ou au monde, ou au corps humain. Voyez Oupnékat, tome I, pag. 320. En m’abstenant de toute réflexion, je ferai remarquer qu’il y a ici un reflet du commencement de la Genèse. Le pippala est l’arbre appelé Ficus religiosa.
  7. Le commentaire dit que ce seigneur est le djîvâtmâ, ainsi identifié avec Agni, ou le père du monde.
  8. Les esprits dans cet état sont appelés kchétradjnâh : ils connaissent l’enveloppe corporelle.
  9. Ces trois espèces de mètres, suivant le commentaire, étaient consacrées aux trois savanas, qui en avaient pris leurs noms, et qui se trouvaient eux-mêmes sous la dédicace de trois divinités particulières. En effet, le distique 25 indiquerait que la Gâyatri est réservée à Agni ; le Trichtoubh, au Soleil ; la Djagati, au dieu de l’air.
  10. L’arca est un hymne, une pièce artchanasâdhanam.
  11. Le saman est un recueil d’hymnes chantés.
  12. Le vaca est une réunion d’hymnes appelés soûktas, et qui me sembleraient avoir été parlés.
  13. J’ai imaginé qu’il devait y avoir deux espèces de vacas, pour que l’un puisse se composer de l’autre. Voilà pourquoi j’ai employé le nom d’anouvâca.
  14. Un akckara est une lettre ou une syllabe. Mais ici ce mot me semble avoir un autre sens : il signifie vers, lequel est composé de deux ou quatre padas, c’est-à-dire fragments de vers, hémistiches. Le mot pada a encore un autre sens (vers 23 et 43) ; il veut dire le sujet chanté dans le vers. Il est un autre mot que je veux aussi expliquer ici : c’est le mot vyoman (vers 34, 33, 39). Il m’a paru avoir quelque rapport avec le pranava. C’est le titre de l’hymne ; c’est le personnage sous le nom duquel on met cet hymne, en quelque sorte le patron qui le couvre.
  15. Le commentateur et M. Wilson disent que c’est le saman. Je croirais assez que c’est une épithète du Trichtoubh, plus rapide que la Djagatî.
  16. J’entends que la Gâyatrî est employée pour dépeindre les vertus d’Agni et de ses trois feux. Je présume que la destination de ces trois mètres n’est pas d’une observation rigoureuse, car cette règle me paraît subir plus d’une exception.