Page:Langlois - Rig Véda.djvu/19

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
11
PRÉFACE.

peuple, à l’imagination impressionnable, suit les uns et les autres, et voit des prodiges dans les actions et les événements les plus naturels. De là les codes sacrés, les législations nationales, les légendes épiques. La victoire de la théocratie obscurcit les premières lueurs de l’unité dogmatique, qui s’achemine à travers mille subtilités vers le mysticisme, et produit les Oupanichads, et les Brahmanas dans l’Inde ; la victoire du pouvoir civil efface ou fractionne l’unité dogmatique, et produit le Chou-king en Chine, et les rêveries ingénieuses du polythéisme greco-romain ; la fusion des deux forces, des deux idées dirigeantes maintient l’unité dogmatique au profit du pouvoir politique, et produit les Triades locales des Égyptiens. Dans les trois cas, la philosophie commence à poindre à travers la théologie, mais elle n’est encore qu’à l’état de conception primordiale. Les législations, théocratiques dans l’Inde, comme les Lois de Manou ; politiques, sous un formalisme excessif, dans l’empire absolu de la Chine, comme le Tchéou-li ; mixtes, c’est-à-dire mêlant le sacerdoce à la magistrature, comme les lois hébraïques ; faisant un tribunal du temple ou demandant, en dernier ressort, le jugement aux oracles, comme les lois égyptiennes ; parfois violentes, chez les Grecs, poussés à la licence par un sentiment exubérant de liberté, comme les lois de Lycurgue, de Zaleucus, de Dracon, et même de Solon ; ou concises par le nombre et par la forme, et terribles par leur concision même, comme les douze tables chez les Romains, dont la jalousie oligarchique soupçonne des ennemis partout, les législations, disons-nous, suivent le même chemin que les codes sacrés.

Les légendes épiques complètent le mouvement. Elles sont théocratiques dans l’Inde, comme le Ramâyâna, et le Mahâbhârata ; mixtes en Égypte, comme le poëme de Pentaour, monument d’une haute importance, parce qu’il détermine d’une manière évidente le moment où la forme lyrique, expression individuelle, cède le pas à la forme épique, expression collective ; héroïques en Grèce, comme l’Iliade et l’Odyssée ; historiques à Rome, comme les Annales d’Ennius, et la Guerre punique de Nevius. Cette période, dans laquelle le dogme se fixe, le pacte social s’établit, et l’expression poétique devient collective, constitue, selon nous, la période d’organisation de l’intelligence.

Plus tard de grands changements surviennent dans l’État, soit par une réforme religieuse, comme dans l’Inde et la Perse ; soit par la constitution de l’unité nationale, comme dans l’Égypte ; soit par une nouvelle organisation politique, comme chez les Hébreux ; soit par le triomphe de la liberté, comme en Grèce ; soit par de grandes conquêtes territoriales, comme à Rome ; soit, en dehors de la politique et de la religion, par les sciences positives ou morales, comme en Chine. À ce moment la nation a la conscience d’une énergie nouvelle, elle est active, féconde au dedans, redoutée au dehors. Le commerce et l’industrie se développent, les arts se perfectionnent, la philo-