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Page:Le Tour du monde - 14.djvu/223

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un couteau et un sac à feu. Puis, ayant chaussé ses raquettes, il part seul, s’enfonçant dans l’obscurité des bois et marchant en silence. Le trappeur, pas plus que le chasseur, ne peut jamais adoucir la solitude de sa vie par les sons du sifflet ou du chant. Son œil perçant étudie sur la neige toutes les marques qui peuvent le mettre sur la piste qu’il cherche. S’il découvre les empreintes d’une martre ou d’un pékan, il délie son paquet et se met à l’œuvre pour construire une trappe en bois.

Voici comme il s’y prend. Il coupe un certain nombre de plançons et les taille en piquets d’un mètre de long ; il les enfonce en terre de façon à former une palissade qui a la forme d’un demi-ovale transversalement coupé. Cet enclos n’admet que les deux tiers du corps d’un animal et est trop étroit pour qu’une bête puisse s’y mouvoir et s’y retourner. À travers l’entrée, on pose une courte bûche. Puis on abat un gros arbre, on l’ébranche et on le place de façon à ce qu’il s’appuie sur la bûche de l’entrée dans une direction parallèle. L’amorce est attachée au bout d’un petit bâton. C’est ordinairement un morceau coriace de viande sèche, ou de perdrix ou d’écureuil. Le bâton qui la supporte est projeté horizontalement vers l’intérieur de l’enceinte. Sur le bout extérieur du bâton on met perpendiculairement un autre bâton court qui soutient le gros arbre couché à travers l’entrée. Puis on recouvre le sommet de la trappe avec des écorces et des branches, de façon à ce qu’il n’y ait d’accès à l’amorce qu’à travers l’ouverture laissée entre le tronc soutenu en l’air et la bûche inférieure. Quand l’animal saisit l’amorce, l’arbre tombe sur lui et l’écrase. Un seul jour suffit à un habile trappeur pour construire quarante ou cinquante trappes.

Tétras de la plaine. — Dessin de Mesnel.


Les trappes d’acier ressemblent à celles où nous prenons les rats ; mais elles n’ont pas de dents et sont à double ressort. On fait des ressorts si forts dans les grandes trappes destinées aux castors, aux renards et aux loups, qu’il faut pour les mettre en place toute la vigueur d’un homme. Un les tend dans la neige dont on les recouvre avec soin ; on y jette des fragments de viande et on aplanit l’endroit pour qu’aucune trace n’indique qu’on y a touché. La trappe tient à une chaîne qui, à l’autre extrémité, se termine par un anneau dans lequel on passe un gros pieu. Elle n’est pas autrement assujettie. L’animal qui est pris, l’est ordinairement par la jambe, puisqu’il est en ce moment occupé à fouiller la neige pour avoir les morceaux qu’on y a cachés. Il traîne après lui la trappe ; mais il ne peut pas aller bien loin, car le pieu s’embarrasse dans les arbres ou les troncs tombés à terre. L’animal est donc ordinairement découvert par le trappeur et arrêté à peu de distance de l’endroit où la trappe a été tendue.

Le plus redoutable ennemi du chasseur aux fourrures est le glouton de l’Amérique du Nord, appelé ici généralement wolverène ou carcajou[1]. Ce remarquable animal n’est guère plus gros qu’un renard anglais ; son corps est long, ramassé pourtant et robuste, avec des jambes très-vigoureuses mais excessivement courtes. Il a de larges pieds armés de griffes puissantes et dont l’empreinte sur la neige a l’étendue du poing d’un homme. La longueur de son poil soyeux et la forme de sa tête le font ressembler à un barbet brun.

Pendant l’hiver, il se procure ses aliments en mettant à profit les travaux du trappeur. Il leur porte un tort si considérable, que les Indiens l’ont nommé le kekouaharkess ou le méchant. Rien ne le rebute. Jour et nuit, il cherche la piste d’un homme. Quand il l’a une fois trouvée, il ne l’abandonne plus. S’il arrive à un lac où la trace disparaisse, le wolverène galope sans

  1. C’est une espèce de blaireau. (Trad.)