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Page:Le Tour du monde - 14.djvu/8

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sagers dont le navire serait arrête dans la région des calmes. Alors un coup d’œil jeté sur la rade, sur les escadres alliées, sur la ville européenne en pleine construction, nous rappelait que si les choses ne marchaient pas toujours au gré de notre impatience, l’œuvre de l’ouverture du Japon ne s’en poursuivait pas moins.

Quatre personnes seulement habitent la maison que je viens de décrire : le consul général des Pays-Bas et son chancelier, mon secrétaire-interprète hollandais et moi. Mais nous sommes entourés de toute une colonie d’employés et de gens de service, répartis dans plusieurs maisonnettes disséminées parmi les bosquets et les charmilles du jardin.

Voici, à proximité du péristyle occidental de notre résidence, la demeure du constable du consulat. C’est dans ce pavillon que nous avons établi notre petit atelier de photographie, et un corps de garde à l’usage des soldats de marine de la station néerlandaise.

À quelque distance en arrière de ce bâtiment est un godown ou entrepôt à l’épreuve du feu, hermétiquement fermé par une porte et des volets en fer.

La loge des portiers est à côté du portail de la forte palissade qui enclôt le jardin dans toutes les directions, excepté vers la baie, où elle est remplacée par une barrière en cannes de bambous, posée horizontalement, au-dessus de l’eau et au niveau de la terrasse qui longe le bord de la mer.

Tô, valet de chambre de l’auteur. Dessin de A. de Neuville d’après une photographie.

Le portail, peint en noir comme toute la palissade et revêtu de cuivre au sommet des principaux pilastres, se compose de trois portes, une grande à deux battants au centre, ne s’ouvrant qu’au maître et aux hôtes de la maison, ainsi qu’aux visites ; et deux petites, de chaque côté, pour les pourvoyeurs, les marchands indigènes et les gens de service : elles sont ouvertes toute la journée, mais fermées dès le coucher du soleil. Le portier en chef est un brave père de famille qui exerce une sorte d’autorité patriarcale sur les autres domestiques et même dans le voisinage. Sa loge, où il y a toujours une théière, un brasero, des pipes et du tabac tout préparés, est le rendez-vous d’une société choisie de flâneurs et de commères du quartier de Benten. Le service n’en marche pas moins avec une exactitude dont on peut se contenter dans l’extrême Orient. Les fonctions des portiers ou monbans, comme on les appelle au Japon, ne se bornent pas à surveiller, à ouvrir et à fermer les passages confiés à leur garde ; ils doivent sonner les heures, de jour et de nuit, en frappant du maillet sur un gong, bouclier de bronze suspendu aux linteaux de la loge ; ils annoncent, en outre, par le même procédé, quelles sont les personnes qui viennent à la résidence : un coup signale un marchand, un bourgeois du quartier franc ; deux coups, un officier ou un interprète ; trois coups, un consul, un commandant de vaisseau, un gouverneur japonais ; quatre coups, un ministre ou un amiral. Le chemin du portail à l’entrée de la maison est assez long pour que l’on ait le temps de se préparer à la réception des visites. Enfin le monban est chargé de pourvoir par lui-même ou, sous sa responsabilité, par ses aides, aux rondes de nuit qui se font deux fois par heure autour des maisons et parmi toutes les allées et les terrasses comprises dans l’enceinte du jardin. L’homme de ronde signale son passage par une batterie de trois coups, un long et deux brefs, en frappant l’un contre l’autre deux morceaux de bois équarris. En cas de danger, il doit donner l’alarme en frappant le gong à coups précipités.

Il y a le long de la palissade qui est du côté du midi, toute une série d’habitations, de cours et de réduits soigneusement dissimulés derrière d’épaisses charmilles. L’on y rencontre d’abord la buanderie, dirigée par un blanchisseur chinois ; ensuite les écuries, et, vis-à-vis, les cabanes des palefreniers ou bêtos, tous Japonais. Chaque cheval à son bêto, qui ne le perd, pour ainsi dire, jamais de vue ; lorsque l’un de nous, par exemple, fait une excursion à cheval, n’importe de quelle durée, le bêto court en avant ou à côté du cavalier, de manière à être toujours à sa disposition pour les soins à donner à la monture. Ces robustes serviteurs forment dans leur pays une corporation qui a sa juridiction intérieure, et dont le chef ou roi jouit du droit de porter un sabre dans l’exercice de son état. Les bêtos sont généralement de taille moyenne, mais bien proportionnés. Leur vie se passe dans un état de nudité presque com-