Page:Lemaître - Jean Racine, 1908.djvu/101

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Racine développe et l’on peut dire qu’il invente le caractère et le rôle.

Et, au dernier acte (seule trace d’inexpérience), par un goût immodéré de l’unité d’action, et pour que la pièce soit finie, bien finie, et ne puisse plus recommencer, il tue tous ses personnages, sans exception.

Bref, Racine, à vingt-trois ans, n’a pas encore tout son génie ; mais il a déjà tout son système dramatique.

Et il a déjà presque tout son style. Ici, il faut citer. Je choisis trois petits morceaux de ton différent : quelques vers d’amour d’Hémon et d’Antigone ; quelques vers de psychologie juste et aisée où le politique Créon explique pourquoi il veut que les deux frères se rencontrent pour un accommodement ; et quelques vers d’Étéocle au moment où il attend Polynice et sent redoubler sa haine à l’approche de son frère.

Hémon et Antigone (acte II, scène I) :

HÉMON

…………………

Un moment loin de vous me durait une année,
J’aurais fini cent fois ma triste destinée,
Si je n’eusse songé jusques à mon retour
Que mon éloignement vous prouvait mon amour,
Et que le souvenir de mon obéissance
Pourrait en ma faveur parler en mon absence
Et que, pensant à moi, vous penseriez aussi
Qu’il faut aimer beaucoup pour obéir ainsi.

ANTIGONE