Page:Lemaître - Jean Racine, 1908.djvu/244

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Pourquoi répandre un sang qui m’est si nécessaire ?
Ah ! dans l’état funeste où ma chute m’a mis,
Est-ce que mon malheur m’a laissé trop d’amis ?
Songeons plutôt, songeons à gagner sa tendresse.
J’ai besoin d’un vengeur, et non d’une maîtresse.
Quoi ! ne vaut-il pas mieux, puisqu’il faut m’en priver,
La céder à ce fils que je veux conserver ?
Cédons-la. Vains efforts qui ne font que m’instruire
Des faiblesses d’un cœur qui cherche à se séduire !
Je brûle, je l’adore, et loin de la bannir…
Ah ! c’est un crime encor dont je la veux punir…
Quelle pitié retient mes sentiments timides ?
N’en ai-je pas déjà puni de moins perfides ?
Ô Monime ! ô mon fils ! inutile courroux !
Et vous, heureux Romains, quel triomphe pour vous,
Si vous saviez ma honte et qu’un avis fidèle
De mes lâches combats vous portât la nouvelle !
Quoi ! des plus chères mains craignant les trahisons,
J’ai pris soin de m’armer contre tous les poisons ;
J’ai su, par une longue et pénible industrie,
Des plus mortels venins prévenir la furie.
Ah ! qu’il eût mieux valu, plus sage et plus heureux,
Et repoussant les traits d’un amour dangereux,
Ne pas laisser remplir d’ardeurs empoisonnées
Un cœur déjà glacé par le froid des années ! …

(Ainsi il se débat en vieil homme mordu, mais en homme qui, dans sa souffrance même, n’oublie pas son rôle et ses devoirs publics. Ruy Gomez n’est qu’un « gaga » lyrique auprès de lui.)

Songez-y bien : autant peut-être qu’Hermione et que Roxane, Mithridate amoureux était alors un personnage tout neuf. Et longtemps il restera isolé : ce n’est guère qu’au XIXe siècle que nous reverrons sur le théâtre l’amour dans de vieux cœurs et dans de vieilles chairs.