Page:Lemaître - Jean Racine, 1908.djvu/262

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état civil la reporte à quelque trois mille ans en arrière, et cela, quand nous aurions le plus besoin de la croire une de nous. Toute cette mythologie devrait nous refroidir. Mais non, car tout aussitôt cette mythologie se transforme. Jupiter, le Soleil, « l’univers plein des aïeux » de la coupable, évoquent pour nous l’idée de l’œil de Dieu partout présent, partout ouvert sur notre conscience ; Minos est le juge éternel qui attend l’âme après la mort ; et, quand Phèdre, écrasée de terreur, tombe sur ses genoux en criant : « Pardonne ! » c’est bien, si vous voulez, vers Minos qu’elle crie, mais nous comprenons que c’est surtout vers le Dieu de Racine.

Là est l’intérêt profond de quelques-unes de nos tragédies classiques. Comme le fond en est, si je puis dire, de beaucoup antérieur à la forme, elles embrassent d’immenses parties de l’histoire des hommes et présentent simultanément, à des plans divers, l’image de plusieurs civilisations. Phèdre a peut-être quatre mille ans par le Minotaure et les exploits de Thésée ; elle a vingt-quatre siècles par Euripide ; elle en a dix-huit par Sénèque ; elle en a deux par Racine, et enfin elle est d’hier par tout ce qu’elle nous suggère et que nous y mettons. Elle est de toutes les époques à la fois ; elle est éternelle, entendez contemporaine de notre race à toutes les périodes de son développement. Et voyez quelle grandeur et quelle profondeur donne à l’œuvre la mythologie primitive dont