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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


Les villages de loin semblaient des bois épais
D’où ne montaient dans l’air ni rumeur ni fumée ;
La campagne déserte était pleine de paix,
Le grillon chantait seul sous l’herbe consumée.

Un moulin, que cachait un défaut de terrain,
Semblait, dressant ses bras au niveau de la plaine,
Un éternel semeur jetant au loin son grain
Et sur la terre nue ouvrant sa droite pleine.

Les chevaux à cette heure étant au râtelier,
Les moissonneurs dormaient au pied des rondes meules,
Et l’on voyait à peine en leur pas régulier
Quelques filles des champs qui s’en revenaient seules.

Tournant à grands coups d’aile au-dessous du ciel clair
Et profitant de l’heure où le moissonneur chôme,
Comme des écoliers en l’absence du clerc,
Des bandes de pigeons s’abattaient dans le chaume.

Je m’étais assis, lourd, ayant soufflé d’ahan.
Dans le trèfle voisin mon chien fourrageait, frisque,
Et, pour indiquer l’heure en l’agreste cadran,
Les pommiers à leurs pieds jetaient une ombre en disque.

Et véritablement, en contemplant ce ciel
Et ces calmes aspects de la terre féconde,
Je ne pensais à rien, contemplateur charnel,
À rien qu’à ce beau ciel sur cette terre blonde.

Qui m’eût dit cependant : « Ce point de la saison
Et cette heure du jour, homme, te représentent
Le milieu de la vie en pleine fauchaison,
Quand l’esprit s’est repu des fictions qui mentent ; »