Page:Lemerre - Anthologie des poètes français du XIXème siècle, t2, 1887.djvu/481

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
457
VILLIERS DE L’ISLE-ADAM.


« Je sens que c’est mon sort même dans le trépas :
« Et, soucieux encor des regrets ou des fêtes,
« Si les morts vont chercher leurs fleurs dans les tempêtes,
« Moi je reposerai, ne les comprenant pas. »

Je saluai les croix lumineuses et pâles.
L’étendue annonçait l’aurore, et je me pris
À dire, pour calmer ses ténébreux esprits,
Que le vent du remords battait de ses rafales,

Et pendant que la mer déserte se gonflait :
— « Au bal vous n’aviez pas de ces mélancolies,
« Et les sons de cristal de vos phrases polies
« Charmaient le serpent d’or de votre bracelet.

« Rieuse et respirant une touffe de roses
« Sous vos lourds cheveux bruns mêlés de diamants,
« Quand la valse nous prit, tous deux, quelques moments,
« Vous eûtes, en ces yeux, des lueurs moins moroses ?

« J’étais heureux de voir sous le plaisir vermeil
« Se ranimer votre âme à l’oubli toute prête,
« Et s’éclairer enfin votre douleur distraite,
« Comme un glacier frappé d’un rayon de soleil. »

Elle laissa briller sur moi ses yeux funèbres,
Et la pâleur des morts ornait ses traits fatals :
— « Selon vous, je ressemble aux pays boréals,
« J’ai six mois de clartés et six mois de ténèbres ?

« À quels mondains semblants sommes-nous condamnés ?
« Juge mieux du souci qu’ils empêchent de lire…
« Aime-moi, toi qui sais que, sous un clair sourire,
« Je suis pareille à ces tombeaux abandonnés. »