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Page:Lemerre - Anthologie des poètes français du XIXème siècle, t4, 1888.djvu/308

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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


Enfin sa tâche est faite. En croulant, la moisson
A tracé sur la terre un lumineux sillage ;
Bientôt il reprendra le chemin du village,
Marquant son pas moins lourd d’une allègre chanson.

Mais aussi que d’efforts, que d’heures douloureuses !
Pour ce peu de froment quels travaux sont les siens !
Et le noir souvenir de tous ses maux anciens
Voile l’orgueil éclos en ses paupières creuses.

Il revit les matins éternellement longs
Que l’automne engourdir sous une brume froide,
Tandis que ses chevaux tirent, la tête roide,
L’essieu qui grince et bute au tournant des sillons.

Vient l’hiver. Oh ! les sourds fracas de la tourmente
Qui font crisper les poings et font serrer les dents,
Alors qu’à l’horizon grincent les bois stridents,
Et que par les vallons neigeux le grain fermente !

Fuis ce sont des défis, des luttes, des combats,
Sous l’orage, à travers le mistral qui vous broie,
Des combats où, pareils à des oiseaux de proie,
D’épais nuages noirs rôdent par les cieux bas.

Et ce sont les ardeurs blêmes des canicules
Dont le souffle embrasé brûle l’azur flétri.
Et, dans un lourd silence assoupissant tout cri,
Les labeurs sans repos des jours sans crépuscule.

Mais qu’importent les maux soufferts : sur les hauteurs
Ainsi qu’un lever d’astre apparaissent les meules ;
Il croit ouïr déjà la chanson des aïeules
Se mêler aux fléaux rythmiques des batteurs.