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Page:Les Œuvres libres, numéro 5, 1921.djvu/61

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JALOUSIE

distingua plus, mêlées au beau monde que deux personnes hétérogènes, la vieille Mme de Cambremer et la femme à belle voix d’un architecte à laquelle on était souvent obligé de demander de chanter. Mais ne connaissant plus personne chez Mme de Saint-Euverte, pleurant leur compagnes perdues, sentant qu’elles gênaient, elles avaient l’air prêtes à mourir de froid comme deux hirondelles qui n’ont pas émigré à temps. Aussi l’année suivante ne furent-elles pas invitées ; Mme de Franquetot tenta une démarche en faveur de sa cousine qui aimait tant la musique. Mais comme elle ne put obtenir pour elle une réponse plus explicite que ces mots : « Mais on peut toujours entrer écouter de la musique si ça vous amuse, ça n’a rien de criminel ! » Mme de Cambremer ne trouva pas l’invitation assez pressante et s’abstint.

Une telle transmutation opérée par Mme de Saint-Euverte, d’un salon de lépreux en un salon de duchesses (la dernière forme en apparence ultra-chic qu’il avait prise) on pouvait s’étonner que la personne qui donnait le lendemain la fête la plus brillante de la saison, eût eu besoin de venir la veille adresser un suprême appel à ses troupes. Mais c’est que la prééminence du salon Saint-Euverte n’existait que pour ceux dont la vie mondaine consiste seulement à lire le compte rendu des fêtes dans le Gaulois ou le Figaro sans être jamais allé à aucune. À ces mondains qui ne voient le monde que du journal, l’énumération des ambassadrices d’Angleterre, d’Autriche, etc. ; des duchesses d’Uzès, de La Trémoïlle, etc., etc., suffisait pour qu’ils s’imaginassent volontiers le salon Saint-Euverte comme le premier de Paris, alors qu’il était un des derniers. Non que les comptes rendus fussent mensongers. La plupart des ambassadrices et des duchesses avaient bien été présentes. Mais chacune était venue à la suite d’implorations, de politesses,