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HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

à celles du Comité Central. Il fut délégué avec Vermorel, Vaillant et Delescluze pour accompagner à Vincennes le secrétaire américain.

Ils arrivèrent à trois heures à la porte de Vincennes. Le commissaire de police refusa le passage. Ils montrèrent leurs écharpes, leurs cartes. Le commissaire exigeait un laissez-passer de la Sûreté. Pendant cette discussion, les fédérés accoururent. « Où allez-vous ? » dirent-ils. — « À Vincennes. » — « Pourquoi ? » — « En mission. » Il y eut un douloureux débat. Les fédérés crurent que les membres de la Commune voulaient fuir la bataille. On allait même leur faire un mauvais parti, quand quelqu’un reconnut Delescluze. Ce nom sauva les autres ; mais le commissaire de police exigeait toujours un laissez-passer.

Un des délégués courut le chercher à la mairie du XIe. Même devant l’ordre de Ferré, les gardes refusèrent d’abaisser le pont-levis. Delescluze les apostropha, dit qu’il s’agissait du salut commun. Représentations, menaces, rien ne put déraciner la pensée d’une défection. Delescluze revint à la mairie où il écrivit cette lettre confiée à un ami sûr.

« Ma bonne sœur, je ne veux ni ne peux servir de victime et de jouet à la réaction victorieuse. Pardonne-moi de partir avant toi qui m’as sacrifié ta vie. Mais je ne me sens plus le courage de subir une nouvelle défaite après tant d’autres. Je t’embrasse mille fois comme je t’aime. Ton souvenir sera le dernier qui visitera ma pensée avant d’aller au repos. Je te bénis, ma bien-aimée sœur, toi qui as été ma seule famille depuis la mort de notre pauvre mère. Adieu. Adieu. Je t’embrasse encore. Ton frère qui t’aimera jusqu’à son dernier moment. »

Aux abords de la mairie une foule criait après des drapeaux surmontés d’aigles qu’on venait, disait-on, de prendre aux Versaillais, ruse enfantine pour exciter les courages. On ramenait des blessés de la Bastille. Mme Dimitrieff, blessée elle-même, soutenait Frankel blessé à la barricade du faubourg Saint-Antoine. Wroblewski arrivait de la Butte-aux-Cailles. Delescluze lui proposa le commandement général : « Avez-vous quelques mille hommes résolus ? » dit Wroblewski. « Quel-